05 aout 2012 – Cette dernière journée d’Osheaga a été, comme prévu, la plus folle. Musicalement bien sûr, mais pas seulement. Alors oui il a plu comme jamais. Il nous a fallu tristement tirer un trait sur Aloe Blacc. Mais quelle journée mémorable !

Après le premier coup de tempête du début d’après-midi, nous débarquions sur l’île Jean Drapeau, décidés à braver l’orage. Les pieds déjà boueux, nous rejoignions, attirés irrésistiblement par les envolées musicales de Passion Pit, la scène principale. Le spectacle était beau à voir, autant sur scène qu’autour. Car c’est bien là le merveilleux avantage de journées pareilles. Seuls les mordus de musique et les plus déterminés à s’amuser coûte que coûte avaient fait le déplacement. Evaporée l’ambiance m’as-tu-vu, la foule, et quelle foule malgré tout, était là pour vibrer. Quelle énergie folle, la journée était à la détraction, au style conçu de bric et de broc, et donc aux échanges riches. Jamais nous n’avions vu tant de sourires et de bras ouverts vers le ciel, même les artistes semblaient s’être passés le mot pour compenser le mauvais temps en un élan de générosité. Il fallait la voir cette foule danser sur Sleepyhead et Little Secrets, chantant à tue-tête sous les rayons de soleil réapparus comme par magie. Un beau retour sur scène opéré par Michael Angelakos, apparemment bien remis de sa convalescence.

A peine le concert terminé, que nous nous dirigions vers la charmante scène des arbres pour écouter Michael Kiwanuka, certainement mon coup de cœur de l’année. Le british ne cesse de rafler prix et honneurs, sa voix est d’un grain et d’une douceur à faire tressaillir d’émotion. La barre était haute c’est dire. Et pourtant, dès les premières notes grattées sur sa guitare, accompagné pour seul musicien de son bassiste, nous avons compris que le mythe était bien réel. Quel bonheur d’entendre ce petit concert intimiste, une véritable bulle de bien-être flottant au beau milieu d’un festival qui décoiffe. Dans la clairière, les visages étaient rivés sur la petite scène, les sourires béats face à ce talent à l’état pur. Michael Kiwanuka nous a régalés de son magnifique Tell Me a Tale, chanté la voix railleuse, comme un vieux vinyle aimé qu’on retrouve le cœur crépitant. Après une chanson hommage à son idole Jimi HendrixMay This Be Love, il nous a livré un déchirant Home Again, joué à fleur de peau. D’une beauté indescriptible. Dommage qu’on entendait les basses assourdissantes d’Austra, qui jouait sur la scène verte non loin de là, car son « one day I know I’ll feel home again » avait quelque chose de bouleversant. Michael Kiwanuka a fini son set, par un I’ll Get Along, repris en cœur par le public, qui claquait dans ses mains en rythme. Nous laissant tous un peu sur notre faim, au bout de vingt minutes seulement de réjouissance auditive. Bien trop court, évidemment, mais assez pour nous convaincre de la nécessité urgente de le réécouter prochainement. Car, après tout, c’est bien à ça que servent les festivals non ? se faire une idée de ce que valent les artistes sur scène, découvrir de nouveaux talents et nous donner l’envie de les revoir sur scène ! Mission accomplie.

Sur la scène principale Santigold avait déjà débuté son show. Et quel show ! La chanteuse dont l’excentricité n’est plus à démontrer était accompagnée de ses deux danseuses choristes, toutes de vert vêtues. Telle une Cléopâtre pop, Santigold a enchaîné quelques uns de ses plus fameux titres, dont Lights Out et Say Aha, acclamés à chaque fois par la foule. N’hésitant pas à faire monter à ses côtés une poignée de fans sélectionnés au devant de la scène, à danser avec eux en chantant sur le son hip hop rebondissant de Creator. C’est que la demoiselle clinquante sait distraire son public. Arrachage de tenue pour Disparate Youth, révélant des imitations d’écolières, lasso à la main pour attraper un faux cheval blanc apparu sur scène. Santigold, de noir et d’or, forcément, a poursuivi avec Freak Like Me, certainement pas la chanson la plus originale de la décennie on en conviendra, mais qui semblait faire son effet sur le public, finissant son concert dans la même frénésie.

Après une session d’errance vers le show de James Vincent McMorrow, dont nous aurions pu nous passer, nous avons repris notre place devant The Shins qui prenait le relai de Tame Impala, dans un concert bien plus rock que l’épisode indie pop folk apaisant que nous attendions. Marqué par une mini tempête express mais impressionnante, l’attention était davantage sur le ciel noir menaçant et les trombes d’eau qui s’abattaient sur nos têtes, le ballet de festivaliers courant se mettre à l’abri, dansant sous la pluie ou se prenant dans les bras pour contrer les éléments, que sur le concert en soi. Mais hormis cet épisode finalement assez cocasse, la prestation des Shins n’a pas convaincu. Non par manque de talent, mais parce qu’il manquait ce petit quelque chose qui fait leur force, la beauté de leurs textes, noyés dans les cordées musicales, cette touche un brin nostalgique et complexe.

Pas de scrupules donc à les abandonner pour courir rejoindre la folie festive qui s’était emparée de la scène piknik électronik, sous le règne de Buraka Som Sistema. Qu’importe la pluie, les marécages de boue à terre, le monde a fait honneur au kuduro progressif des portugais, dans un délire digne du groupe. Car les Buraka Som Sistema ont ce don si particulier de lever les foules, à un point qu’on en oublierait son nom. Partis dans une quasi transe, nous avons tous bougé nos fesses en cadence, sautillant, criant et levant les bras. Impossible de ne pas sourire à s’en décrocher la mâchoire. Oubliée la pluie, oubliée la fatigue naissante. On a dansé jusqu’à épuisement, hurlant de joie sur un Wegue Wegue mémorable. Un concert dose vitaminée à ne pas manquer si vous en avez un jour l’occasion.

Autre contexte, nouveau cadre. On a quitté le sous-bois du piknik pour la scène principale, finalement bien plus calme et disciplinée. Dallas Green, de City and Colour, chemise à carreaux et guitare à la main, séduisait déjà le public montréalais. Du bon son indie rock folk, typiquement canadien, avec cette vibe bien particulière qui emporte. Sous la mer de parapluie, on entendait chanter à l’unisson sur Fragile Bird ou le magnifique Sleeping Sickness, chanté en toute simplicité, à la guitare, tout en finesse. Quel beau moment.

Tout juste le temps de s’en remettre et de grignoter un bout de poutine, que le show de Metric commençait. Nous avons découvert une jolie blonde, tshirt noir et flammes, perfecto noir aux fils rougissants dans le dos, à la voix enfantine et charmeuse. Captivés sans même le comprendre, nous avons imité les milliers d’autres festivaliers, les yeux rivés sur l’écran (impossible de se frayer un chemin dans la foule compacte). Fascinés. Littéralement. Et séduits  par cette musique rock électro aux sonorités 80’s, enjouée et énergisante, à coup de synthé et tambourins. Par la fraîcheur d’Emily Haines, qui se donne généreusement d’un bout à l’autre du concert, jouant avec ses guitaristes, son public, dans des mimiques attachantes. A la fois discrète et simple, la belle n’en est pas moins une bête de scène embarquant son public sur les excellentissimes Speed the Collapse, Lost Kitten, Help I’m Alive.

Conquis et le cœur déchiré, la soirée finissant en véritable goulot d’étranglement musical, il fallait être organisé pour goûter un peu de tout. Alors la larme à l’œil, nous nous sommes arrachés à Metric pour rejoindre la scène verte, où jouait le génial M83, à cheval également sur le concert des Black Keys. Un déchirement absolu. Impossible de choisir l’un ou l’autre, j’ai donc dû faire les deux…en partie.

Un début de messe avec le son électro absolument inclassable de M83. A notre grand étonnement, la plaine du bout de l’île était bondée. Qui l’eut cru ?! M83 séduit donc tant que des milliers de festivaliers l’avaient préféré à The Black Keys ! Et quelle ambiance ! Sur la scène, des jeux de lumières en forme pyramidales, dans un univers de jeu vidéo électrisant. Anthony Gonzales principalement à la guitare, accompagné d’une choriste et d’une poignée de musiciens a donné le la à la soirée. Transformé en party géant, le lieu avait quelque chose d’irréel. « This is fucking good !! » hurlait une américaine à côté de moi en faisant ses mouvements d’aérobic en mode accéléré ou ralenti selon les morceaux. Le cœur brisé donc, en avançant à reculons, et continuant à danser jusqu’à la dernière seconde, nous avons dû quitter ce microcosme orbital pour The Black Keys, que nous ne pouvions décemment pas manquer. Mais quelle tristesse de n’avoir pu écouter le fabuleux Midnight City

Côté scène principale, The Black Keys étaient à l’œuvre. Un beau spectacle, dans lequel il était difficile d’entrer. Peut-être justement parce qu’arrivant si tard, il ne restait plus que des places très loin, tellement loin qu’on avait l’impression d’être exclu de leur bulle magique habituelle. En se concentrant, on parvenait tout de même à se laisser brièvement toucher par leur rock blues, cette musique qui goûte la terre chaude et rocailleuse de l’Amérique profonde. Mais après trois jours intenses de concerts, 23 au total tout de même, le corps ne veut juste plus faire d’effort. Alors après une petite dizaine de chansons (le groupe aurait régalé Osheaga de près de 20 chansons ! Incroyable !) nous avons capitulé. Et dit au revoir à Osheaga !

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Auteur : Sarah Meublat

Photographe : Julien Poitout

Pour en savoir plus : Passion Pit, Aloe Blacc, Michael Kiwanuka, Santigold, The Shins, Buraka Som Sistema, City and Colour, Metric, M83,  The Black Keys