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16 Juin 2012 – Existe-t-il plus belle façon de finir les Francofolies, cette célébration de la langue française, que par un concert de Cali? Un peu à l’aveuglette, pour ne pas bien connaître ce chanteur,  hormis peut-être par ses quelques chansons reprises à la radio, j’ai pris le chemin de l’Astral ce samedi soir. Arrivée un peu juste, j’arrive dans une petite salle plongée dans l’obscurité où il est bien difficile de trouver une place. Direction le bar, sur le côté. Sur la scène, Steve Nieve a déjà pris place au piano. Le pianiste anglais, connu pour avoir accompagné pendant plus de vingt ans Elvis Costello, partage pendant cette tournée internationale l’affiche avec Cali. Un élégant duo, pour un concert des plus grands titres du chanteur, en acoustique.

Après un solo au piano, Cali en toute simplicité, costume noir, chemise blanche et cravate noire, rejoint son acolyte sur scène. La salle est plongée dans le noir complet, seul un filet de lumière illumine le chanteur, qui donne le ton du spectacle avec Murano. Amour, guerre, honneur et patrie, des thèmes abordés avec une dignité rare. On découvre un autre Cali, pas si étonannt d’ailleurs lorsque l’on sait qu’il a donné à ce spectacle le nom de L’Autre Vie. Nouvelle maison de disque, nouvelle approche. Infiniment plus épurée, résolument intime.

L’émotion est palpable alors qu’on écoute les paroles de Madame Butterfly, “Elle a perdu l’amour. Sa beauté s’est fendue. Elle a perdu l’amour. Sa fierté s’est pendue. Il n’y a plus rien à faire. Elle ne nous entend plus. Elle ne voit plus ses pas. Qui coulent dans la rue”. L’instant est magique, silence de la salle. Des paroles que l’on boit comme une première fois. Les mots ruissellent dans nos corps et envahissent les âmes. Impossible de ne pas penser aux Brel et autres Brassens de la chanson française. Cali, sans ses débordements habituels, au naturel, rend tout leur sens aux mots. On découvre les histoires qui se cachent derrière, plonge dans cette vieille France, cette France qui a connu la mort, la guerre et le désespoir.

Un baiser soufflé à Steve Nieve, assis sur le piano noir, Cali poursuit sur L’Amour m’a tué“je sais, l’amour a tué plus de gens que tout un siècle de choléra. J’en ai vu mourir des milliers, aujourd’hui ça tombe sur moi”. Moment grave, de déchirement amoureux. Cali l’écorché vif touche avec violence, au fond des entrailles, le sang, la lutte et la perte des autres, de soi.

Et la vie reprend. Les lumières s’animent, et à la demande du chanteur, le public se lève en tapant des mains. Le rythme festif de Je sais ta vie réchauffe.

Cali, tout en préservant le style posé du concert, se lâche progressivement, comme si de vieux démons indomptables resurgissaient. Il tape des pieds, tournoie, lève les mains au ciel et crache sur scène. Un grand interprète, théâtral et dramatique.

Après un interlude de Steve Nieve, seul au piano, Cali revient. Digne et droit comme un piquet, il chante L’Affiche rouge de Louis Aragon et Léo Ferret en hommage aux martyrs de la résistance. “Vous n’avez réclamé ni la gloire ni les larmes. Ni l’orgue ni la prière aux agonisants. Onze ans déjà que cela passe vite onze ans. Vous vous étiez servis simplement de vos armes. La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans”. La reprise est bouleversante, difficile de retenir les larmes. “Adieu la peine et le plaisir. Adieu les roses. Adieu la vie. Adieu la lumière et le vent”. Cali chante avec solennité et rage contenue. Nos poils se hérissent.

Le thème de la guerre est omniprésent “plutôt mourir debout, que de vivre à genoux” articule Cali dans Giuseppe Maria en honneur à son grand-père italien parti combattre Franco et sa grand-mère, infirmière espagnole, rencontrée sur le front. L’ambiance est pesante et dramatique, autant qu’émouvante. Cali conte l’Histoire, ces histoires que nos grands-parents nous transmettaient avec retenue petits, à demi-mots pour avoir trop souffert, de cette guerre vécue et de ces blessures qu’on ne pourra jamais comprendre. Cali par ses mots réveille ces vieux souvenirs de famille transmis et absorbés, qui coulent dans nos veines.

“Merci beaucoup” finit-il par dire en s’inclinant devant son public, qui bien qu’encore sonné applaudit à tout rompre. “Les Francofolies, c’est le plus beau festival de chanson francophone au monde, alors merci, du fond du coeur!”.

Place à la joie et la gaîté, bien mérités. C’est quand le bonheur? Le public est debout et clappe des mains en rythme, en chantonnant. Deux petites filles du public sont invitées à monter sur scène. Un peu impressionnées, elles acceptent le micro tendu et chantent le refrain. Elles resteront jusqu’à la fin de la chanson, accompagnant le chanteur de leur petite voix. Le moment est adorable et plein de vie. “C’est quand le bonheur? C’est quand le bonheur? C’est ce soir!”. “Cali! Cali!” entend-on entre les sifflements. L’Astral est en liesse.

Après avoir remercié chaque membre de son équipe, Cali poursuit avec notamment 1000 coeurs debout, qu’il dédie, comme un cri de soutien, à la jeunesse québécoise dans la rue. Les briques derrière la scène s’illuminent de rouge. Cali retire une manche de son costume pour découvrir un carré rouge, épinglé sur le coeur. “Des fusils de la honte qui encerclaient nos écoles, Monsieur Charest, je n’oublierai jamais” insère t-il. “Nous sommes des milliers, un fleuve extraordinaire. Notre force est sublime, elle emportera tout. Et s’ils essaient encore ils se frotteront à mille c oeurs debout”. Des mots qui raisonnent ici au Québec en ce printemps érable.

La salle reprend en chantant, tandis que Cali tape des pieds en criant, de toute sa fougue engagée.

Avant de finir son concert par Elle m’a dit, durant laquelle il descend dans son public, se met à danser en chantant contre une spectatrice, lui baise la main avant de divaguer au coeur des gens, en disant au revoir, et de prendre doucement et solennellement la direction de la porte de sortie.

“Cali! Cali!” le public ne cesse de hurler jusqu’à ce qu’il reprenne place sur le devant de la scène. “Merci, merci du fond du coeur, il me tarde déjà de revenir” dit-il, avant d’annoncer la sortie de son prochain album, à paraître à l’automne, et d’entonner les premières paroles de sa nouvelle chanson Mes vieux cinglés.

Un texte bouleversant sur l’enfance chahutée. “Fichez-moi la paix mes vieux cinglés. Je vous laisse. Bourrez-vous la gueule tant que vous voudrez, cassez tout, battez-vous tant que vous pouvez(…) je me suis allongé tous ces soirs en rentrant de l’école, dans votre maison, ma petite chambre, ma prison (…) j’ai tellement prié pour me réveiller dans un autre lit”. Une chanson qui finit de nous arracher nos dernières larmes, la gorge nouée.

Une heure trente hors du temps s’achèvent. On rejoint la place des Spectacles, où les québécois Malajube ont déjà commencé leur show de clôture, dans un certain flottement, avec au fond du coeur un tourbillon d’émotions. Et des milliers de mots qui virevoltent.

Quelle belle façon de finir ces Francos vous disais-je. Un Festival qui agit comme une piqûre de rappel, pour ne pas trop oublier combien le français est une belle langue et si pleine de vie.

Auteur : Sarah Meublat

Crédit photo : Julie Tomas & Eric Vernazobres

Pour en savoir plus : Cali