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09 Juin 2012 – Samedi dernier, 21h45, rue Sainte-Catherine à Montréal. La faune des quartiers afflue vers le Métropolis. Dans quelques minutes seulement, le Duc de Boulogne (ou Saddam Hauts-d’Seine pour les intimes), AKA Booba, le rappeur le plus controversé de la scène musicale hexagonale, s’apprête à faire son OPA. Les billets s’échangent, se négocient, certains tentent de filouter le portier. En vain. Billet tendu, sac fouillé, corps palpé, j’entre dans le célèbre théâtre. Ambiance radicalement différente de toutes mes dernières visites, notamment celle de la veille pour un tout autre genre de poète, Bénabar.

Booba. Que penser du molosse. Pas grand-chose a priori. Mis à part quelques titres qui m’hérissent le poil. Mais passons. Objectif écoutilles grandes ouvertes, observation initiée. La crowd est majoritairement masculine, qui comme des loups se déplacent en meute. Quelques filles, emblèmes de la meute ou apprêtées pour l’occasion. Mini shorts, robes moulantes débordantes et talons de 12 à paillettes, la grande classe internationale s’est évadée de la F1 pour un soir, le temps de jouer les bad girls en rappant. C’est que le Booba en question « is damn sexy » j’entends à côté.

22h. DJ Medi Med et Mala font leur entrée sur la scène, les platines se mettent en branle. La salle, plongée dans l’obscurité, rugit. Les portables sont dégainés et brillent dans l’obscurité. Le King du 9-2, suivi à la trace par son cameraman personnel, s’empare du mic et pousse sa voix grave, un verre de Jack à la main. Pas de doute, le mec en impose. T-shirt rouge de sa marque perso, Ünkut, et bermudas treillis, casquette rouge vissée sur la tête, solaires sur le nez, grosse chaine en or qui brille, l’apprenti gangsta nous sort la panoplie complète du look rappeur américain des années 95.

Les fans, en uniforme Ü, sont en transe et tentent de feindre la nonchalence. Le Dieu autoproclamé du rap français est bien là, en train de propulser son flow et son beat pesant sur A4, tiré de sa dernière mixtape Autopsie vol. 4(2011), ce même titre dont le clip tourné en Guadeloupe récemment a bien failli tourner au cauchemar quand les balles des fusils tirés se sont avérées être vraies. Bref.

« J’te fume en pleine messe la chatte à ta nièce. Ma pute en Hermès, la tienne en Airness ». Amis de la poésie bonsoir.

Le public, en véritable armée élevée aux uppercuts verbaux finit les phrases. Les lyrics s’enchaînent. Place à Boulbi, un de ses titres phares, tiré de son dernier album studio Ouest Side (2006). « C’est pas la rue mais l’être humain qui m’attriste. Comment leur faire confiance, ils ont tué le christ » place Élie Yaffa de son vrai nom. C’est que de père Sénégalais et mère franco-marocaine, le Booba se revendique musulman, nie toute ascendance judaïque et s’empare donc du nom d’un cousin sénégalais, Boubakar, pour créer son nom de scène. C’est qu’il faut bien se créer un personnage pour convaincre. Parce qu’une enfance à Meudon puis au Pont de Sèvre, y a quand même pire dans la vie. On n’est pas dans le Brooklyn de Biggie ou les bas fonds californiens à la Shakur. La thug life ne s’improvise pas n’est-ce pas? Ou peut-être que si finalement tiens. 17 ans de carrière, 5 albums, une série de mixtapes, des titres et récompenses comme s’il en pleuvait, Booba serait une « légende du rap français », un « génie littéraire » même selon l’écrivain Thomas Ravier*, qui va jusqu’à comparer le rappeur à Céline. No comment.

C’est certain que le monsieur, dans la pure tradition du rap et du slam, maîtrise la verbe. Dommage donc qu’à 35 ans, il aligne les textes aussi…creux? affligeants? C’est son business, j’ai compris. Mais l’enchaînement de clichés du mec qui se rêve gangster, à dose de « chattes » et « biatches » répétitif, je sais pas mais ça a comme un goût de déjà-vu. So 1990’s justement. Et c’est une inconditionnelle de hip hop qui écrit, élevée au rap français et américain en pleine guerre East Coast/ West Coast, qui pleurait la mort de 2Pac et s’enthousiasmait dans les battles !

« J’fais des trucs sombres, limite immondes »… pose-t-il, « Là d’où j’viens [je répète : Boulogne…] on choisit la facilité »…ne rentrons même pas sur l’apologie de la violence et de la vulgarité gratuite, le débat n’en finirait pas. Mais je reste sans voix sur ces filles, pas toutes bimbos échappées d’un film porno, mais des bandes de copines aussi, avec ou sans paquet de clopes glissées dans les seins, qui lèvent les bras aux ciels, répètent avec fierté et hargne « bébé enlève tes paluches. Ouvre pas la bouche. À la moindre embuche. Faudra qu’j’les couche. J’laisse la main sur la crosse, arme le chien. Toi fuck la femme enceinte qui des douleurs se plaint (…) Wech les khos, j’le shoote ou j’remets à plus loin. J’l’ai entre les mains (…) la cible va encore chialer, la cible va encore parler. Laissez-moi l’finir, ça nous fera du bien » (extrait d’Ennemi)

Le Métropolis vibre. Le son des mitraillettes riposte aux cris du public. « Faites du bruit pour rien!! » aboie Booba, en mode Joey Starr remixé. Petite autopromo avec l’annonce du prochain album, Future, pour la rentrée.

« Qui est le boss? » alpague-t-il. Cris de plus belle.

« Je suis un gangster, gangster. Je m’arrêterai six pieds sous terre (…) Je suis un gangster, gangster. Et tu ne peux rien y faire (…) Sanguinaire je te la glisse même quand t’as tes gle-rè ».

Sur ces jolies paroles, mister Booba quitte la scène. Cris de déchirement. Assez pour le faire revenir chanter a cappella Comme une étoile. Le moment est beau. La bête semble un instant plus touchante. Mais, le rôle revient vite, t-shirt enlevé, pour finir le concert (assez prévisible ma foi) torse nu, le pantalon sous le caleçon à carreaux. Les filles gloussent, les mecs plus discrètement. C’est beau la force du pouvoir et de la violence.

Dernier titre avant de déguerpir sans un au revoir à son public: Scarface.

“Le monde est à nous! Le monde est à moi”…La boucle est bouclée.

* «Booba, ou le démon des images», in Nouvelle Revue française, octobre 2003 (Gallimard).

Auteur : Sarah Meublat

Crédit photos: Frédérique Ménard-Aubin pour les Francofolies

Pour en savoir plus : Booba