Mais quel dommage. Un groupe si grand. Un spectacle si gros. Des morceaux anthologiques joués. Un James Hetfield en si bonne forme, avec certainement sa meilleure voix « live » depuis les quinze dernières années. Le tout noyé dans une bouillie sonore approximative, perdue dans la réverbération bétonnée et ferraillée de ce stade, et franchement inadmissible pour un groupe de ce calibre. Et un nouvel épisode de désastre sonore, après ceux d’AC/DC en 2009 et 2015, qui vient confirmer qu’il faut arrêter de faire des concerts de rock au Stade Olympique.

Ou la démesure d’un certain Metalli-capitalisme dans la culture, quand la forme efface peu à peu le fond, pour vendre plus même s’il faut couper un peu sur la qualité essentielle du produit, le son de la musique elle-même ?

Parce que c’est quand même fantastique, comme le soulignera James lui-même, d’être ici après plus de quarante ans de carrière. D’avoir des frissons quand les lumières s’éteignent et qu’Ecstasy of Gold d’Ennio Morricone retentit, avant de voir les Four Horsemen en chair et en os monter sur scène et envoyer le classique Whiplash, quatre décennies après sa sortie qui allait marquer l’histoire du heavy metal.

D’enchaîner avec For Whom The Bell Tolls puis Ride The Lightning sous les acclamations de 60 000 personnes, dont une bonne partie étaient déjà là il y a deux jours. Tout à l’honneur de Metallica de proposer deux grilles de chansons totalement différentes entre les deux soirs, allant piocher dans leur longue discographie, incluant leur nouvel album et de remarquables morceaux comme Lux Æterna.

 

Le show est énorme. Repoussant les limites de la scène à 360 degrés, Metallica présentait sur cette tournée un nouveau concept de scène ronde, sorte de bagel avec un pit au milieu, entourée de huit grands pylônes portant des écrans géants circulaires, et des colonnes de son monstrueuses. Un seul problème : le Stade Olympique, et son acoustique naturellement ingérable. Le son tourne et rebondit sur le toit et la structure ronde en métal et béton armé, renvoyant un écho constant. Il faut tendre l’oreille pour comprendre les interventions du chanteur entre les chansons, et quand tous les instruments embarquent, c’est simplement cacophonique. Une preuve ? Les « hey ! hey ! » du public se décalent régulièrement, depuis les tribunes, on entend clairement un délai de quelques secondes, et tout le monde ne scande pas « hey » en même temps.

Et pourtant. Metallica est connu pour avoir une équipe de son hors normes, se démarquant souvent par une puissance sonore forçant l’admiration, comme leur dernier passage au Heavy MTL, ou même sur les plaines d’Abraham au FEQ. Et on voit bien qu’ils font ce qu’ils peuvent malgré les circonstances ici, travaillant à mieux définir le son de chaque instrument, les solos de Kirk Hammet sortant parfois plus. Mais le tout reste médiocre, pour ne pas dire franchement brouillon et mauvais par moment. Le son s’améliore un peu pendant You Must Burn, mais les guitares restent difficiles à discerner, se perdant dans la réverbération et le brouhaha constant du son qui tourne. Quel gâchis d’entendre alors le majestueux instrumental Call of Ktulu dans de pareilles conditions.

Heureusement qu’on connaît les chansons, parce que quand ça va vite comme sur le monumental Battery, ça devient difficile de tout comprendre. Ce sont finalement les chansons un peu plus mid-tempo qui ressortent mieux, mais même là, la dynamique est totalement écrasée par le bruit ambiant, enlevant la puissance des punchs dans des morceaux mastodontes de rythmiques fracassantes comme Wherever I May Roam, For Whom the Bell Tolls ou Enter Sandman qui conclue le show.

Quel dommage. À soixante ans, le père Hetfield est impressionnant, et semble au meilleur de sa forme vocale depuis quinze ans ou plus. Depuis les années 2000, sa voix en concert avait perdu de sa hargne et de sa puissance, devenant plus claire. Mais sur cette tournée, et on l’a entendu ce soir – ou plutôt discerné – sa voix a retrouvé du grain et du mordant, rugissant même dans les plus calmes come Welcome Home Sanitarium ou One. Et un charisme envoutant du chanteur-guitariste, doté d’un sens de l’humour et de l’autodérision, comme lorsqu’il annonce : « Voici un morceau de votre album favori : St Anger ! ».

C’est quand même incroyable qu’une machine aussi énorme que Metallica, qui semble penser à tous les détails, re-décorer le stade entier aux couleurs du groupe, soigner chaque animation sur les écrans avec des images de leurs concerts au Québec, la fleur de Lys avant Battery, mettre des panneaux Metallica dans le métro, ne se soit pas posé un instant la question d’avoir un bon son, et de mieux choisir le lieu. De ne pas avoir parlé de la mauvaise réputation de l’horrible acoustique du stade olympique, remontant apparemment jusqu’à 1994 avec Pink Floyd, ou AC/DC en 2009 et 2015, oubliant l’essence même de leur existence: leur son massif portant leur musique exceptionnelle qui en a fait un des plus gros groupes de la planète.

Serait-on en train d’atteindre la quintessence de ce Metalli-capitalisme culturel, où la musique devient un produit de consommation de masse, bien emballé et bien présenté, où le standard de qualité sonore est délaissé au profit de l’expérience humaine ludique ? De créer un momentum, où ce qui compte c’est de participer, d’être là et de prendre des selfies pour dire qu’on y était ? Parce que côté marketing, branding et hype autour de l’évènement, rien à dire, c’est réussi.

Du moment qu’on reconnaît les morceaux, que ça fait « boum boum » avec un son massif et des basses qui font trembler le sol, des belles lumières, des ballons gonflables, des flammes et quelques pétards, on boit quelques Molson à quinze pièces – sans le pourboire -, un chandail souvenir à soixante dollars minimum, et tout le monde est content ? Personne ne se plaint vraiment, dans une acceptation générale d’une médiocrité normalisée, une soumission à ce qui est juste « correct » en apparence ?

Comme quand l‘amour rend aveugle, et qu’il est difficile de voir ou d’admettre certaines choses évidentes : on a beau être fan de Metallica, être content de voir jouer ces légendes vivantes, des musiciens généreux et souriants qui sont heureux d’être là, avec une belle énergie, la puissance de milliers de personnes réunies pour célébrer une œuvre musicale, et c’était un effectivement un spectacle gigantesque, un show superbe à voir, une jolie setlist. Mais non, ça ne sonnait pas bien du tout. Alors que James et ses acolytes semblent sonner mieux que jamais dans leur période moderne. Quelle frustration.

Journaliste: Bruno Maniaci

Photographe: Alex Guay