Lomepal @ Place Bell (Laval, Québec)
Jeudi 12 octobre, 00 :51, je viens de voir le show de Lomepal et je rentre chez moi. Le conflit intérieur que je ressens envers la situation me tracasse. Lomepal est un artiste que j’adore et il est accusé de viol.
Lomepal, je l’ai découvert quand j’avais 15 ans ; il a porté mon adolescence avec Flip et ses textes qui savaient me toucher. Le 3 août dernier on apprenait qu’il était visé par une enquête pour viol. Il a toujours été percutant dans ses écrits, il était juste. L’affaire date de 2017, mais des témoignages médiatisés récemment déclarent « des gestes déplacés de Lomepal dont toute l’industrie musicale est au courant ». Je me rappelle écouter Bécane dans le bus, surtout les jours de pluie. Puis je pense, si toute l’industrie est au courant, c’est peut-être pour ça qu’il n’y a pas de feats sur Mauvais Ordre. Quand il a sorti les versions Motorbass de ses textes, je me suis remise à écrire en pensant qu’un jour, j’arriverai à communiquer les mêmes choses que lui. Même si y’a la présomption d’innocence, une accusation de viol ça reste une accusation de viol. Quand Mauvais Ordre est sorti l’année dernière, je l’ai pas aimé à la première écoute, mais ce disque a finalement porté mon année 2023. En tant que femme, c’est une affaire qui me touche particulièrement, surtout que je condamne ces comportements. D’ailleurs, je pense que Lomepal fait partie des artistes que j’ai le plus écouté cette année. D’ailleurs, je ne vais pas me taire.
J’entre dans la salle et je découvre Kéroué en solo. Rappeur français, il a fait ses débuts dans le duo Fixpen Sill, aux côtés de Vidji. Le rappeur chauffe la salle avec sa belle énergie mais le public québécois n’a pas l’air tant touché par son style de rap novateur et ses textes réfléchis.
Moi, j’embarque assez rapidement, sa musique est légère mais les paroles restent intelligentes. Le rappeur utilise des jeux de mots astucieux et des thèmes du quotidien pour livrer une réflexion sociale profonde. Il est habile dans sa manière de jouer avec la langue mais ne semble pas conquérir la crowd, qui attend Lomepal. Il arrive sobrement, avec ses musiciens et son allure de rockeur. Il joue les morceaux de Mauvais Ordre mais revient sur ses anciens albums avec Flash, Ma cousin et Pommade. Dans l’ensemble les musiciens ont beaucoup de libertés et partent souvent en impro, ce qui donne une nouvelle dimension aux tracks que l’on connait bien. L’ambiance du concert est plus rock que rap. Lomepal se défait de son image de « rappeur blanc » pour assumer son style qui tend vers la variété.
Pourtant, la salle ne se remplie pas. J’ai entendu dire que beaucoup de gens avaient essayé de revendre leurs places suite aux annonces d’août. J’ai beau avoir aimé l’œuvre de Lomepal, je ne peux pas fermer les yeux sur les accusations. Mais la cancel culture, c’est très complexe dans les faits. Je suis tiraillée, entre l’homme et l’artiste, les faits et la musique. Je suis face à un dilemme moral déchirant. C’est dur de me dire qu’un artiste auquel je me suis longtemps identifiée est une personne que je condamne aujourd’hui. Je ne peux plus comprendre ses textes comme avant, je me trouve à chaque fois dans un profond inconfort émotionnel. Savoir qu’il est accusé d’agressions sexuelles me plonge dans un désarroi qu’il est préférable d’éviter. A chaque fois que je suis confrontée à l’artiste, le dilemme reste entier. Aïe aïe aïe, aïe aïe aïe, c’est sûr, je vais faire un malaise. Je n’appellerai pas au boycott de Lomepal puisqu’il n’a pas été condamné. Je souhaite juste mettre en avant la complexité dichotomique de ma situation, parce que je pense que c’est un phénomène qui touche beaucoup de monde. Bien que la cancel culture soit un concept social, la manière de la mettre en place reste très personnelle.
Je ne veux pas participer à la culture du viol et c’est pour cette raison que je parle de ma situation. Condamné ou non, c’est un sujet qui vaut la peine d’être adressé. Dénoncer ces comportements pour que s’opère un changement social. La justice n’est qu’un joli mot.
Je suis une femme et j’en suis une engagée. A titre personnel, je ne crédite pas un artiste accusé d’agressions sexuelles. Je ne sépare pas l’homme de l’artiste. Même si dans les faits, ça reste triste. Tout le monde souhaiterait un monde meilleur mais au final, qu’en est-il ?
Journaliste: Léna Dalgier
Photographe: Thomas Courtois