La sortie du premier album de Jeff Loomis avait fait plusieurs heureux dans la communauté metal : le guitarist lead et cerveau derrière Nevermore avait canalisé toute l’énergie qui poussait le fameux groupe de thrash prograssif, en enlevant les vocals horribles de Warrel Dane pour les remplacer par encore plus de délicieux shred. Bref, Zero Phase Order avait tourné infiniment plus souvent dans mon système de son que n’importe quel album de Nevermore. Inutile de dire que depuis la séparation de Nevermore, j’attendais mon fix de Loomis avec assez d’impatience.

Pas de doute, Plains of Oblivion sonne la tonne de briques estampillée Loomis en caractère 72 gras-italique-souligné. Les chorus, solos, riffs, même les patterns de picking portent la signature sonore du guitariste. On aurait pu craindre que Loomis, n’ayant plus son projet Nevermore, injecterait de ce style à son approche solo, beaucoup plus riche et diversifiée. Heureusement, Plains of Oblivion sonne beaucoup plus comme son précédent effort solo, Zero Phase Order, que comme le dernier Nevermore, The Obsidian Conspiracy. En fait, c’est la continuité logique de Zero Phase Order, avec quelques bonbons en plus.

Mercurial amorce le festival du shred avec toute l’extravagance fretboardienne (on va inventer ce mot-là pour les besoins de la critique) qu’on connaît de Jeff Loomis. On reprochera que la basse sonne le gros pet mouillé par moment, mais, à la base, personne n’écoute de Loomis pour la basse, sauf s’il veut s’emmerder quelque chose de concret. Sur le 5 :31 que dure la chanson, on recense peut-être, cumulativement, un beau gros 30 secondes qui n’est pas une offrande aux dieux de la guitare. Ça donne le ton pour la suite de l’album. Parlant de dieux de la guitare, Chris Poland, Marty Friedman, Tony Macalpine et Attila Vörös viennent tous se taper des solos au courant de l’album.

Parenthèse : Oui je sais, Jeff Loomis, c’est pas vraiment le roi des titres de chansons. Personnellement, Mercurial, The Ultimatum, Sybilline Origin, Rapture, Requiem for the Living et autres festivals de la fret surexcitée sont tous des titres piochés dans le grand chapeau des « noms lambda pour une chanson métal bien vargeuse ». Les titres sont assez interchangeables d’une chanson à l’autre, et auraient bien pu s’appeler « Plains of Oblivion : Part 1 , Plains of Oblivion : Part 2 », etc., jusqu’à ce qu’on fasse le tour. Tiens, Plains of Oblivion, un autre titre qui passera pas à l’histoire pour sa profondeur.

Sauf qu’au final, on ne s’attend pas à une poésie format Opeth quand on se branche sur du Jeff Loomis. On veut du riff qui écrase, qui bûche et qui jute dans les oreilles quelque chose de violemment succulent. Bref, on veut sa portion quotidienne de gros shred sale. Et Plains of Oblivion livre la marchandise sans même se forcer. Loomis se permet même des petits extras créatifs comparativement à son premier album, et celui qui est le plus surprenant, c’est l’ajout du chant sur certaines pièces. Des fois, c’est un mélange absolument explosif, comme dans le cas de SurrenderIhsahn  déploie un range vocal impressionnant, mais en même temps absolument complémentaire au riffing écrasant. Surrender est, d’ailleurs, probablement la meilleure chanson de l’album, et de loin. Et même lorsque Loomis opte pour des vocals plus soft, le résultat peut quand même déchirer, comme dans Tragedy and Harmony avec Christine Rhoades comme chanteuse. Le tout est excessivement homogène, et on évite les écueils classiques des chants féminins dans le métal. Mais parfois, c’est aussi un échec cuisant : Chosen Time, encore avec la fameuse Christine Rhoades, combine une composition assez faible avec des harmonies vocales plutôt moches et des paroles très peu inspirées (« Like a desperado in modern times she’ll steal your heart and she’ll ease your mind », et c’est à peu près ce qu’il y a de moins cheesy dans la chanson, c’est dire!). Oui, une power ballad, ça peut faire changement de la portion gigantissime de shred qu’on nous envoie dans le gosier tout le long de l’album, mais l’exécution ici est bien en-dessous du niveau auquel Jeff Loomis nous a habitué. Une chanson qui se skip facilement.

L’autre surprise, c’est Rapture, une chanson complètement acoustique (oui, bourrée de shred, mais bon). Elle sort plutôt bien, si on exclut la quantité ridicule de reverb. Mais comme ça ne serait pas du Loomis sans un peu de démesure, on accepte le reverb et on s’imagine être dans une nef d’église large de 3 kilomètres, vu l’ampleur de l’effet. Rapture commence tout en douceur, et on pourrait être surpris d’un tel choix esthétique jusqu’à ce que Jeff Loomis, le maître du shred (ça ferait une belle carte d’affaire), se fasse plaisir et qu’on reconnaisse sa touche peu subtile.

Au final, Plains of Oblivion est un album plus ambitieux que son prédécesseur, avec de très belles réussites et très peu de ratés. Ainsi, comme l’album est surtout un ramassis de chansons, traitons-le comme tel. Le bon est très bon, et le mauvais, plutôt mauvais. Mais à part pour Chosen Time que j’aurais rayée de l’album si je le pouvais, le tout se déguste assez facilement pour peu qu’on aie une bonne tolérance au shred.

JEFF LOOMIS – Surrender (Featuring IHSAHN) by Century Media Records

Note : 8/10

Auteur : Alex Luca