IAM : Le rap, c’était mieux avant ? @ Piknic Off (Montréal)
Ce matin, je me réveille assez excitée. Pour un seul évènement qui explique mon état. Je vais voir IAM au Piknic Off. Tout d’abord je suis excitée car j’aime le rap et je sais à quel point IAM est une institution du genre ; me dire que j’ai la chance de les voir sur scène me rend pas mal euphorique. Aussi, je sais à quel point les concerts rap me font sentir légère et à ma place et ça fait longtemps que j’ai pas baigné dans cette ambiance. Et finalement, ce qui m’excite le plus, c’est de partager cette expérience avec des copains. Des très bons copains avec qui, la plupart du temps, je partage des expériences musicales techno. On va en soirée, en rave, en festival mais jamais en concert. Alors, avoir une première fois avec eux, ça compte pour moi.
Je les rejoins chez eux, Perrine met son gilet bleu et blanc et on part. Elle le montre plus que Pierrick et Alban, mais je pense que les trois sont tous aussi excités que moi de ce concert. Même si Alban n’a jamais écouté IAM avant, ni trop de rap d’ailleurs, il sait que c’est eux qui l’ont ramené en France, avec NTM. Il est lyonnais, alors il adore la funk. C’est une corrélation qu’il fait lui-même, en dansant le Mia. Sur le trajet, Pié se confie : « Moi, j’ai toujours écouté du old school, mais c’est la première fois que je vais voir un concert rap, en tout cas, hors festival. ». Perr, qui est la plus au courant, nous dit qu’elle trouve que le rap old-school revient dans la tendance. « La preuve, le gagnant de Nouvelle École, Youssef Swatt’s, en fait son credo. Toute la saison, les jurés arrêtent pas de le dire : ce que Youssef fait, c’est reprendre les codes des anciens, Oxmo, IAM et compagnie et c’est un des trucs qui marchent maintenant. ».
À ce moment-là, les réflexions deviennent intéressantes et nous discutons de nos rapports personnels au rap. Moi, j’écoute encore quelques artistes mais ça fait longtemps que j’ai pas creusé ce genre. Alban en écoutait au lycée et son rapport au rap a changé quand il s’est mis à l’EDM grâce à la house et la techno. Il a gardé des tracks de Caballero et Jean Jass dans sa playlist et sans trop s’en rendre compte il analyse « Je sais pas comment qualifier ce style, c’est moderne mais ça reste old school dans les prods ; j’écoute ça pour faire des pause dans l’EDM, entendre des nouvelles sonorités ».
Même si nous avons tous une culture rap différente, les avis convergent plus ou moins : le rap, c’était mieux avant. Moi je trouve pas forcément et si on me demande, Jul a autant sa place au panthéon du rap que IAM -pour différentes raisons, certes, mais quand même-. Alors, j’essaie de comprendre le point de vue des copains. Pié a toujours écouté du rap des 90s, 00s, US et FR et ne s’est jamais intéressé à ce qui s’est fait dans la dernière décennie. « Quand y’a eu la phase Nekfeu, j’ai pas accroché, ça me parlait pas. Je pense que c’est les textes, même si Nekfeu est un lyriciste. Le rap actuel, c’est un peu plat. Booba à l’ancienne, à l’époque d’Oxmo, il faisait des trucs monstrueux », et c’est comme ça qu’il explique son penchant pour le old school. Perrine valide « Aujourd’hui, c’est souvent la même chose : grosses voitures, gros boules. Je fais une généralité mais c’est ça. Alors que IAM, c’est des aventures, des textes engagés. » et finit en disant « Ce que j’aime dans le old school, c’est que y’avait pas d’autotune. Je trouve que ça dénature beaucoup ». Alban, encore dans l’analyse nous résume sa pensée « Un truc qui joue beaucoup, et c’est ce qui me plait dans le old school, c’est que ça reprend des codes de base. Des rythmes assez classiques issus des débuts des genres musicaux. J’écoute du rap pour me calmer, pas m’ambiancer c’est pour ça que le old school me correspond mieux. D’ailleurs, quand je dis old school, je pense plus à des sonorités, des structures, pas forcément à une époque. ». Finalement, Perrine conclut « Pour imager, un truc qui marche en techno et en rap c’est les scratchs. Dès que y’a ça, pour moi, le son est liké. Le rap à l’ancienne c’est un mood, c’est apéro chill, si on veut s’ambiancer on écoute plus de la techno. Y’a 2 ans, j’écoutais beaucoup de rap mais j’ai l’impression que tout se ressemble. Dans tous les cas, c’est les goûts et les couleurs. ».
Et c’est sur ces sages paroles que le concert commence.
Le public est curieusement hétérogène et j’ai l’impression d’être la plus jeune. Ça fait plaisir de voir qu’IAM est reconnu ici et que leurs sons traversent les générations. Les voir en live, ça fait aussi réaliser que l’entièreté de leur discographie est un banger, c’est un no skip. Pié sourit, « toutes les générations se confondent, c’est beau ». Ils jouent Petit Frère et Nés sous la même étoile assez rapidement et, bon, je me rends compte que j’ai pas assez révisé car je ne connais que les refrains mais surtout, que j’étais la seule à avoir besoin de réviser. Il n’y a pas une seule personne dans le public qui ne connaît pas les chansons par cœur. C’est fédérateur. Les rappeurs marseillais entonnent un de leurs refrains les plus connus, « Ce soir on vous met le feu » et Pierrick me raconte que c’est son moment préféré du show. « On aurait dit un stade de foot, l’ambiance, la foule, le style, c’était malade ; un moment hors du temps ».
En regardant les clips sur les écrans derrière eux, je repense à ce que Perrine disait sur le fait que le old school revenait à la mode. Je trouve que les images impactantes et engagées qu’ils utilisaient il y 20 ans sont très actuelles. Je retrouve l’univers de Kassovitz, très dur dans la manière d’exploiter la réalité ; et, effectivement, ce noir et blanc couplé à la manière de ne pas vouloir faire du fictif ne se démode pas. Ces images servent aussi à montrer que leurs combats et leurs opinions n’ont pas changé avec l’âge.
À la fin du show, ils font un discours sur la paix et l’amour. Perrine, émue, me glisse, « Je suis super touchée par ce qu’ils disent et par la prise de position pour la Palestine. Ça me met les frissons. Je trouve que c’est aussi ça le rap old school, c’est de l’engagement. Kery James, IAM, NTM, c’est des mecs qui savaient de quoi ils parlaient. Ils veulent faire passer leur message et ils y arrivent car ils sont vraiment sincères. On aime les artistes engagés au naturel et vu que ça vient du cœur, on comprend facilement le message. ».
Quelques instants après, tout le monde chante dans le métro, comme à la sortie d’un match de foot quand notre équipe gagne. Tous les gens sourient, surpris d’avoir vécu un moment aussi convivial. La musique d’IAM ne vieillit pas et l’héritage qu’ils lèguent est multigénérationnel.
En quelques années, le rap a énormément évolué, pris des tournants, crée des sous-genres. Si bien qu’aujourd’hui le terme seul ne veut plus dire grand-chose. Ce genre musical, ancré dans la culture populaire a gagné en diversité en continuant son chemin, sans pour autant perdre des bouts de son histoire. C’est l’évolution naturelle de tout genre. Avant le concert, nous avons concentré notre discussion sur les artistes dits mainstream, ceux de notre adolescence. C’est pourquoi je rappelle aux copains que nous sommes à l’époque des sous-genres et que dire « le rap c’était mieux avant » n’est pas un débat forcément pertinent. Perrine s’accorde : « Aujourd’hui on peut classifier ce qu’on écoute. Je dis « rap » pour tout, mais je pense que c’est une faute. Pour moi le rap, c’est la pureté des années 90-00s. Aujourd’hui, beaucoup de rappeurs chantent dans leurs sons par exemple. Si tu dis j’écoute du rap et que t’écoutes Jul et Naps bah tu peux dire « j’écoute du rap marseillais », tu peux facilement classer, ce que je trouve cool. Ça permet de s’y retrouver. » Ça permet de s’y retrouver oui, mais ça permet aussi de faire florir de nouvelles tendances, que des expérimentations voient le jour. Il n’y a plus un seul courant de pensées et depuis quelques temps on s’affranchit des codes et on va puiser des inspirations dans d’autres genres. Je pense que le débat n’est plus « le rap c’était mieux avant » mais plutôt « est-ce que l’évolution du rap représente un progrès ou un éloignement de ses valeurs fondamentales ? ». Et pour moi, le fait de pouvoir se poser cette question prouve la richesse et la pluralité des raps qui ont de très beaux jours devant eux.
Journaliste: Léna Dalgier
Photographe: Thomas Courtois