Après 5 ans d’absence, et pas mal de réticences au vu des commentaires concernant la jauge augmentée du festival qui semble un peu anxiogène désormais, me voilà de retour au fameux Roadburn. Référence ultime en Europe pour ce qui est de la scène doom et affiliées, le festival néerlandais a su au fil des ans enrichir sa prog’ de par sa diversité. Et si on y voit toujours autant de groupes que l’on aime, on se délecte chaque jour de toutes ces découvertes. Voici donc mon compte rendu tardif et non exhaustif de ce festival dont ma nostalgie n’a d’égale que sa qualité.


11 avril 2019

C’est le sourire aux lèvres et toute en curiosité que je me rends au tout premier concert qui a lieu dans cette chère Het Patronaat, salle emblématique du festival malheureusement vouée à disparaître (j’ai entendu dire que c’était la dernière année qu’elle serait accessible au festival). Ancienne chapelle reconvertie en salle de concerts le temps du Roadburn, la salle est à taille idéale avec quelques centaines de personnes, le bar au fond (et des serveurs tellement sympas !) et un balcon avec moquette au sol et sièges molletonnés idéaux pour faire la sieste entre deux concerts. Et si j’y vais, c’est pour la première découverte du festival, j’ai nommé Sherpa. Groupe italien aux forts relents post-rock, le quatuor, dès les premières notes, me propulsera dans d’autres sphères où le rock psyché dans ce qu’il a de plus lancinant va se teinter de touches aériennes qui allègent le tout sans pour autant nous sortir du trip. Ils ont joué une heure, et pendant une heure j’ai eu l’impression de flotter dans la salle, les pieds pourtant bien ancrés dans le sol, ressentant chaque vibration, mais définitivement la tête au-dessus des montagnes. C’était très beau, et j’en aurais bien pris plus. Beaucoup plus. Mais je suis au Roadburn, et c’est donc le début d’une course folle qui ne va pas s’arrêter pendant quatre jours. En tout cas, je ne peux que chaudement vous recommander de jeter une oreille à leur LP Tigris & Euphrates sorti en septembre 2018 et qui m’a totalement fait revivre le voyage à la maison.

Et dès lors, je dois avouer que cette journée n’aura été qu’errance et perplexité. Il y a tout d’abord eu le passage vers la Main Stage (qui a doublé de volume depuis la dernière fois que j’étais venue) histoire de voir le projet Folkesange de Myrkur, soit un set avec des morceaux à elle retravaillés ou des chants folkloriques norvégiens, le tout mis en beauté par des choristes, un piano, violoncelle et autres. Et certes c’est beau, mais qu’est-ce que c’est chiant…

Myrkur par Paul Verhagen

Alors j’attends Treha Sektori qui va commencer dans la Green Room, soit la petite salle du complexe 013. Issu du célèbre collectif belge Church Of Ra que l’on ne présente plus, ce projet solo de Dehn Sora propose une dark ambient des plus percutantes, le tout relevé par les magnifiques images en noir et blanc projetées à l’arrière de la scène. On se prend vraiment au jeu, on rentre dans une espèce de transe lourde, sombre et assourdissante. Mais au bout de trente minutes, je me rends compte que ça ne va vers nulle part et donc je me dis « à quoi bon ? ». Alors je retourne à Het Patronaat pour Rakta. Découvertes elles aussi via la prog’ du festival, je suis impatiente de voir sur scène ce trio de nanas qui m’avait beaucoup plu lors du la live session KEXP. Entre post punk, expérimentations et rock psyché, j’avais totalement adhéré. Mais là, j’ai pas compris grand chose. En effet, je ne sais pas si ça a un lien mais c’est dorénavant quelqu’un d’autre à la batterie (un homme en l’occurrence) et le groupe semble maintenant officier dans la noise expérimentale plus que dans tout autre chose. Enfin, certains diront sûrement que ça n’a rien de noise ni d’expérimental, mais moi ça m’a paru un peu foutraque et je ne m’y suis pas retrouvée du tout. Alors j’ai profité du fauteuil pour faire une sieste avant Lingua Ignota dans la Green Room, elle aussi inconnue au bataillon avant d’explorer le line up du festival. Seule derrière son clavier, placée en plein milieu du public et seulement éclairée par une lampe de chantier, la californienne m’a retourné le ventre et le cerveau. Passant de voix lyrique à chant hurlé, celle qui répond au nom de Kristin Hayter nous plonge dans un univers sombre où le mal est omniprésent et où la rédemption n’existe pas. Elle-même victime d’une relation malsaine aux divers abus, elle nous fait partager sa rage d’une manière si brute et sincère que l’on ne peut rester indifférent. Et c’est sans parler des images à l’arrière qui nous montrent des paysages dévorés par le feu, le tout parfois agrémenté de voix off où la souffrance omniprésente me fait parfois suffoquer. Bref, une véritable révélation avant même d’en être vraiment une (oui, va falloir lire la suite pour la comprendre celle-là).

Après ça, honnêtement, je n’avais plus besoin de grand chose, alors je suis allée me perdre de l’autre coté du festival, dans cette ère jusqu’alors inconnue pour moi, j’ai nommé le Pitstop. Mis en place l’année passée si j’ai bien compris, cet énorme hangar abrite tout un de choses dont deux scènes (la Koepelhal et le Hall Of Fame), mais aussi le merchandising, le bar à bières artisanales, une salle d’expo, un skate park et j’en passe. Bref, un chouette endroit où se trouver quand on a – étrangement – un trou dans sa journée. Alors c’est sur fond d’Emma Ruth Rundle que j’explore les lieux et fais mes premières courses, et je dois dire que je trouve ça pas mal mais ça ne me donne pas non plus envie d’aller dedans. Je décide quand même à y aller pour les trois dernier morceaux et force est de constater que le son ne lui rend pas justice… Mais bon, personnellement, même si j’aime ces mélodies, sa voix m’énerve un peu, et puis ça se sent qu’elle a beaucoup trop écouté Chelsea Wolfe. Du coup, pour ce qui est de « la révélation dont tout le monde parle depuis des mois », je repasserai…

Heilung par Paul Verhagen

La curiosité m’amène alors de nouveau vers la Main Stage où se produit Heilung, groupe de folk expérimental tout droit inspiré de la culture viking et dont les membres proviennent de Norvège, du Danemark ou encore d’Allemagne. Affublés de costumes incroyables qui me donnent l’impression d’assister à une performance assurée par des entités divines, voire des esprits, plus que par des êtres humains, le groupe me plonge temporairement dans leur musique qui se trouve aux confins de plusieurs courants, du chant traditionnel à la transe. Mais là encore, ça ne fonctionne pas pour moi, et si je suis déçue d’avoir raté le sacrifice en fin de set, je préfère aller reposer mes jambes et mes oreilles ailleurs. Ce qui me ramène au Hall Of Fame pour le concert d’Ovtrenoir. Je ne m’étirerai pas sur leur show que j’ai trouvé plutôt vide d’émotions et d’originalité, mais, en gros, si vous n’en avez pas marre d’écouter des pâles copies d’Amenra, vous pouvez toujours tenter. Moi j’ai eu ma dose, je vais me coucher.


12 avril 2019

Après avoir dormi dans un grenier hanté (c’est ça d’être hébergée chez des gens qui vivent près d’un cimetière), me revoilà au 013 pour entamer la deuxième journée sur quatre. Pleine d’entrain, je déchante vite en réalisant que je vais louper le premier acte que je voulais voir ce jour-là, j’ai nommé Gold. En effet, que faire face à cette longue longue longue file devant la Het Patronaat qui s’étend jusqu’à l’entrée de la rue et qui signifie que je ne serai pas dans la salle avant au moins la moitié du set ? Et bien rien, à part m’en aller et me diriger vers le Koepelhal où je veux voir Throane. En fond de scène un grand écran et des images en noir et blanc. Au milieu de le scène, un totem et quatre musiciens qui jouent face à lui et un chanteur qui chante dos au public. Ça vous rappelle quelque chose ? Amenra me dites-vous ? Et bien oui ! Sans surprise, Throane est un projet du mec derrière Treha Sektori, la bassiste est celle d’Ovtrenoir, bref, on nage en plein dans cet océan-là, certes beau et maîtrisé, mais terriblement vide et chiant.

Throane par Paul Verhagen

Du coup, deuxième fuite de la journée et retour à Het Patronaat où j’attends Mythic Sunship. Groupe de heavy space rock psyché (ou un truc du genre) découvert grâce à la prog’, il me fait vite déchanter lorsque je vois et entends un saxophone. Et il faut savoir que je déteste le saxophone. Mais vraiment. Je reste malgré tout deux, trois morceaux, mais c’est toujours la même rengaine alors je m’échappe, une fois de plus. Et bordel je suis vraiment déçue car c’est seulement sur le dernier album que l’on trouve ce terrible instrument, mais à l’image de Rakta la veille, c’est celui-là qu’ils ont en toute logique décidé de jouer sur scène. Bon bon bon… Je fais donc un détour par la Main Stage pour me réconforter dans l’idée que non, je n’aime pas Tryptikon, même quand ils sont en mode orchestre et qu’ils jouent le Requiem de Celtic Frost. Du coup je me dis qu’à un moment il faut arrêter de lutter et que ces déboires représentent l’occasion de ne pas rater le concert que j’attendais plus que n’importe quel autre, celui de AA Williams dans le Hall of Fame. Alors elle, ça a été mon véritable coup de cœur quand j’ai écouté le line up du festival. Seulement munie d’un EP quatre titres sorti en janvier et déjà sold out (sur un peu moins de 300 copies), la jeune anglaise a déjà signé sur Holy Roar, rien que ça. Et je comprends. Dès les premières notes de Control, premier titre de l’EP, les poils se hérissent et les larmes viennent aux yeux tant c’est plein de grâce et de sensibilité. Et ça ne s’amenuise pas au fil des titres, où la guitare, souvent acoustique, se mêle à une batterie vrombissante et des sons aériens qui nous ramènent en pleines contrés éloignées. Mais revenons-en au concert. Je trépigne d’avance, ayant trouvé une place de choix au milieu de cette petite salle qui subie elle aussi les aléas du Roadburn et son (trop ?) grand nombre de participants. Et je ne sais plus par quel morceau démarre le set, mais je sais que AA Williams jouera les quatre morceaux de son EP (coup de grâce pour Cold), ainsi que d’autres chansons encore inconnues mais qui résonnent déjà dans ma tête. Le concert se termine sur la fameuse Control et l’émotion me prend à la gorge et au cœur. Les larmes me viennent et déjà c’est l’heure de la fin. Ce concert de 50 minutes m’aura semblé en durer 15; il faut dire que cela faisait longtemps que je n’avais pas entendu quelque chose d’aussi beau. Et si je suis sortie en me disant que ça aurait tout de même pu être mieux, qu’elle ne peut que s’améliorer, tant dans sa prestance que dans sa puissance, j’ai appris par la suite que c’était son tout premier concert, alors je lui donne tout mon respect. Artiste définitivement à suivre.

Après ça, encore toute émue, je cours vers la Main Stage où va commencer le show d’une autre de mes “living goddesses”, j’ai nommé Anna Von Hausswolff.

Anna Von Hausswolff par Paul Verhagen

Découverte il y a 6 ans peu après la sortie de deuxième album Ceremony, je l’ai depuis vu deux fois sur scène et je suis sortie de là complètement ébranlée le même nombre de fois. J’en attends donc énormément, car même si l’idée de la voir dans un si vaste espace ne m’excite pas plus que ça, je me dis que la puissance qui en ressortira n’en sera que plus appréciable. Et bien pas du tout. J’ai passé la moitié du set la tête ailleurs, pas vraiment imprégnée par la musique. En effet, je ne sais pas si c’était l’idée, mais la suédoise et son groupe qui l’accompagne pour le live ont délivré un set assez particulier, très noise, qui m’a donné l’impression qu’il fallait tout pousser à fond pour en mettre plein la vue à tous ces gens. Du coup ça manquait énormément d’harmonie à mon goût et tout ce pourquoi j’aime l’artiste sur album a disparu en live. Je reste tout de même jusqu’au bout (oui, c’est pas mauvais non plus, soyons bien d’accords), et après un (très) rapide détour par Het Patronaat pour Fauna (groupe de black métal ambient américain qui défend corps et âme Dame Nature) et Thou & Emma Ruth Rundle à la Koepelhal (où elle ne me séduit toujours pas et où le son est toujours aussi mauvais), je me rends bien à l’avance au Ladybird Skatepark pour le show surprise de Lingua Ignota. Et si je ne vais pas m’étendre sur le set dont j’ai déjà parlé plus haut et qui était sensiblement le même (à part la fin), je dois quand même avouer qu’être au deuxième rang, être face à elle et avoir la chance d’entendre sa voix directe plutôt que celle dans le micro m’a encore plus remué les tripes. La moitié de la salle est partie en chialant, et elle-même n’en était pas loin. Bref, c’était tout simplement incroyable et je conseille à quiconque qui lit ses lignes de se pencher sur cette artiste.

C’est donc le cœur tout retourné que je me dirige vers la Koepelhal où joue Drab Majesty, un des ovnis du festival qui fait plaisir à voir. En effet, le duo américain officie dans la dark wave, ce qui est probablement aux antipodes de tout ce que j’ai pu voir sur scène jusque là. Mais ça tombe bien, je dois revenir sur terre après Lingua Ignota, et danser sur de l’électro mélancolique était le meilleur des remèdes. On a eu droit à des morceaux des deux albums Careless et The Demonstration, mais également de celui à venir en juillet prochain, Modern Mirror. Les lumières sont magnifiques (une des seules fois où je me suis dit ça du festival d’ailleurs) et à la fois tout est en sobriété avec les deux zicos vêtus de blanc de la tête aux pieds (et même les cheveux), lunettes de soleil noires et le visuel du groupe à l’arrière. Simple, sans prétention, mais foutrement efficace. Y en a d’autres qui devraient en prendre de la graine…

Et à partir de ce moment-là, j’en ai plus rien à foutre de rien, donc ni les prestations (ou le peu que j’en ai vu) de Messa, Loop, et encore moins de Street Sects n’éveilleront un soupçon d’intérêt chez moi. Retour donc à mes fantômes et à demain le Roadburn.

Auteure : Hélène

Crédit photos : Paul Verhagen