L’Electro Alternativ, c’est ce festival qui a commencé en 2005 sur les bords du Lac de Sesquières, avec deux jours de festivités intensives où se mêlaient déjà plusieurs genres. Après ça, année après année, le festival s’est imposé dans la ville rose, pour s’installer pendant un temps au Bikini notamment, puis dans plusieurs salles, pré-destinées ou non à ce genre de musique. De plus, le festival s’est étoffé dans le sens où il propose dorénavant des projections de films et documentaires, des conférences, ainsi que des workshops, le tout dans une logique alternative et locale. Du coup c’est un véritable voyage itinérant que l’on entreprend sur trois petites semaines, où la qualité se mêle à la quantité, et ce de manière on ne peut plus naturelle. Retour donc sur un festival sur lequel il n’y a pas grand chose à redire.

Tout a commencé cette année le 5 septembre au Théâtre Garonne, lieu atypique qui a accueilli une soirée qui l’était tout autant. En effet, pour lancer les hostilités, l’asso Regarts (derrière l’Electro Alternativ depuis ses débuts) avait programmé une soirée gratuite avec deux artistes inconnus au bataillon et qui gagneraient pourtant à être connus. Le premier, Martin Messier, est un artiste pluri-disciplinaire qui se plaît à mélanger son, lumière, scénographie et chorégraphie afin de transcender la matière, le temps et le champ audiovisuel. Pour cela, le canadien nous présentait ce soir là Field, projet où l’invisible devient visible, où les ondes magnétiques deviennent sonores et où l’impalpable devient concret. C’est avec deux panneaux en métal, quelques câbles et quelques spots de lumière qu’il nous embarque dans son univers dont on ne pourra s’extraire, et surtout dont on ne sortira pas totalement indemne. Il nous semble en effet avoir été transporté dans une autre dimension où il n’y plus de notion de corps, de matière, de temps et d’espace. Je ne veux pas trop en dévoiler ici car je pense que la surprise est essentielle pour apprécier cette performance à sa juste valeur mais tout ce que je peux dire, c’est que Martin Messier est parvenu à nous plonger dans un état de semi rêve éveillé où la beauté a touché de très près la magie.

C’est ensuite l’artiste français Incandescent qui a pris le relais, pas évident après un tel moment suspendu. Et puis il faut dire que la configuration n’a pas été de son côté ce soir-là. En effet, si sa musique, aux confins de plusieurs genres tels que la synthwave, l’indus, voire la post dubstep par moment, a tout pour plaire et pour maintenir sans problème une foule éveillée, le fait d’être assis a profondément ramolli l’assistance au point de quitter les lieux, ou bien de s’assoupir dans les fauteuils confortables de la salle. Dommage car lui aussi, à travers sa musique uniquement (il n’y avait aucun visuel) nous a fait faire de beaux voyages, que ce soit dans la désolation de villes post apocalyptiques ou d’ambiances désertiques qui auraient fait une parfaite BO pour Dune. Du coup, on ne peut que souhaiter recroiser la route de l’artiste, et ce dans de meilleures conditions, afin de lui renvoyer toute l’énergie qu’il nous donnait de par ses sourires sincères.

Monolithe Noir

Une petite semaine de pause, et me revoilà dans une salle obscure pour la suite de l’évènement qu’est ce festival. Et pour cela, rendez-vous était pris au Rex pour la double soirée Monolithe Noir et Oktober Lieber. Le premier, bordelais d’origine parti s’installer sur Bruxelles il y a quelques années, a commencé sa carrière musicale en 2010 avec son projet pop Arch Woodmann. Se trouvant limité dans la ville de nos traîtres (fallait bien que je le dise), c’est en découvrant la Belgique et ses campagnes désolées que l’inspiration électronique lui vient et qu’il se lance dans l’analogique afin de nous délivrer une techno à la fois sombre et mélodique. En ce mercredi soir, il est accompagné d’un batteur, et c’est devant un public clairsemé mais conquis d’avance qu’Antoine Pasqualini de son vrai nom, derrière toutes ses machines et autres synthés modulaires dont il affirme ne pas vraiment savoir se servir, va nous plonger dans un voyage aux mille nuances. Le set démarre en effet sur une nappe techno avec une basse si forte qu’elle fera reculer les premiers rangs. Les quelques premières minutes sont d’ailleurs un peu chaotiques niveau son, on sent qu’il faut mettre tout ça en place. Heureusement, c’est fait très rapidement, et dès le deuxième morceau, malgré quelques petits couacs pendant le set, notamment au niveau de la batterie, ou encore des transitions un peu maladroites, on pardonne tout tant il y a du cœur dans cette musique. Et elle est surtout foutrement efficace ! Avec juste un écran, un cercle coupé en deux en son centre, et des images hachées digne de bonnes vieilles VHS diluées dans de l’acide, le franco-belge nous transporte pendant 50 minutes dans des univers divers et variés, et ce grâce à des sons qui nous rappellent autant les jeux vidéos old school que le son des débuts de Majeure, en passant par une formule peu usitée entre krautrock et math rock version électronique, le tout parfois relevé par du chant. Du coup on ne voit pas du tout le temps passer, on s’émerveille même carrément parfois, et on est presque tristes que ça ait une fin.

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Oktober Lieber

Heureusement Oktober Lieber (“cher octobre”) est là pour nous la faire oublier. Ou elles auront essayé en tout cas. Beaucoup plus brute que celle de Monolithe Noir, la techno des deux françaises mise plus sur la puissance du BPM que sur la mélodie, ce qui nous fera forcément moins voyager. Il y a pourtant, et presque étrangement, pas mal de sensibilité dans ce qu’elle nous propose ce soir, notamment en milieu/fin de set avec le titre Noir Piscine, véritable petit bijou électro où le rythme ralentit et où la voix de Marion Camy-Palou se fait plus douce (les deux passent en effet une partie du set à chanter tout en modifiant leurs voix à souhait, via un vocodeur notamment). Cette sensibilité, elle est sûrement amenée par Charlotte Boisselier également dans Ambeyance, duo synth-pop plein de couleurs flashys et de paillettes (l’autre paire de mains ayant un projet plus radical encore, j’ai nommé Deeat Palace). En tout cas les deux se complètent à merveille, s’éclatent sur leur multitude de machines analogiques, et si l’ensemble manque un peu de nuances, il faut bien le dire, on se réjouit à l’idée de les revoir un jour dans un contexte peut-être plus à même de mettre en lumière (noire) leur musique, comme un club berlinois où sueur, fumée de clopes et corps se mélangeraient dans les heures tardives de la nuit. Par exemple.

Dès le lendemain, je continue dans ma lancée électro dark avec la performance de Mondkopf. Changement de lieu et pour le coup vraiment d’ambiance, car le festival a programmé ce concert dans l’auditorium du Centre Culturel Bellegarde, soit une salle on ne peut plus sobre pouvant contenir une centaine de personnes maximum. Au fond de celle-ci, une table avec un micro, deux MacBook Pro, des machines. À l’arrière, un écran surplombe le tout. Le concert démarre après une petite trentaine de minutes un peu fébriles, et c’est parti pour une heure de voyage fait de contemplation mais aussi de larmes. Le dernier album que vient nous présenter le toulousain ce soir (dorénavant sur Paris) s’intitule How Deep Is Our Love? et c’est en effet la question qui nous taraude pendant tout le set alors que l’on se balade dans des paysages quasi désertiques où les geysers en ébullition se succèdent aux flancs de mer en furie. Le public s’assoit au fur et à mesure du concert afin de mieux se plonger dans cet univers à vif qui ne nécessite rien de plus que deux paires d’yeux et d’oreilles. On se laisse donc docilement trimballer, l’œil humide, dans cet univers abrupt et délicat, fait de tant d’amour et de beauté que ça nous en arrache le cœur. En tout cas j’y ai laissé quelques miettes du mien, c’est certain.

Foreign Beggars

Je finis mon marathon de la semaine au Metronum pour le concert de Foreign Beggars, groupe emblématique de la scène hip-hop/grime londonienne qui vient nous présenter son dernier album 2 2 Karma, et par là même occasion donner leur dernier concert français, celui-ci ayant décidé de rendre les armes après 17 ans de carrière. Pour l’occasion, ils sont accompagnés de leurs potes Virus Syndicate. Je ne m’étendrai pas sur leur set, ayant supporté leur dubstep ultra vénère et vulgaire le temps de deux morceaux à peine (mon sens du professionnalisme a tout de même ses limites). C’est donc 1h plus tard que je retourne dans la salle pour assister à ce qui devrait être une grande messe où l’énergie devrait faire trembler les murs et où les tubes devraient s’enchaîner. Devraient… Au lieu de ça, et ce dès le début du set, j’ai déchanté de voir le manque d’énergie des deux comparses au micro. Si la première fois que j’ai vu Foreign Beggars (il y a 9 ans au festival Skabazac), j’avais été impressionné par le dynamisme de Orifice Vulgatron, seul ce soir-là mais qui avait assuré pour 10, je constate immédiatement que 9 ans lui/leur sont passés dessus, et visiblement pas mal de drogues qui n’aident pas à se détendre les maxillaires… C’est donc les traits tirés que les deux passent leur show, se parlant à peine, voire s’ignorant, comme si toute leur complicité passée s’était envolée. Je ne sais pas ce qui est derrière la séparation du groupe mais il semblerait que ce soit assez personnel. Ou en tout cas un gros ras-le-bol. Niveau setlist, je n’ai pas bien compris leur intention non plus. Pour une dernière date, on est en droit d’attendre tous les gros tubes non ? Au lieu de ça, le duo a passé plus de la moitié du set à jouer des nouveaux morceaux, en y intégrant tout de même Badman Riddim (Jump) et un remix bien parfait de Flat Beat de Mr Oizo mais qui n’a malheureusement pas fait réagir grand monde (faute à un public trop jeune ?). Après il y a bien eu I Am Legion et Contact avec Noisia mais le climax de cette dernière fût entaché par une nana qui a eu la bonne idée de faire un stage diving pile à ce moment-là et donc le public, au lieu de se foutre sur la tronche comme il aurait dû, a préféré se rassembler à l’avant pour la porter, foirant complètement ce qui aurait dû être un beau moment… À côté de ça, il n’y a même pas eu de Shellshock ni de fameux wall of death propre à tous leurs concerts, aucun titre des vieux albums, et en plus ils ont passé tout le concert à nous mettre sur le dos le manque d’ambiance, comme si les gens payaient 25 balles pour se faire volontairement chier. Bref, je suis ressortie de là très amère, déçue et énervée, me sentant flouée comme rarement. Pour une date “banale” je dis pas, mais pour une dernière, ça avait quand même un léger goût de foutage de gueule…

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Kompromat

Une petite semaine plus tard, nouveau lieu et nouvelle ambiance pour une soirée assez attendue de cette édition, celle de Kompromat au Bikini, soit le nouveau projet techno de Vitalic et de Julia Lanoë (ou Rebeka Warrior de Sexy Sushi, et qui officie également dans Mansfield.Tya). Mais cette fois, si l’on reconnaît, surtout en live, quelques touches du projet “majeur” du premier, il distille ici une électro qui lorgne très largement vers la techno indus 80’s qui a fait les heures de gloire de Berlin et ses clubs mythiques, effet renforcé par le chant majoritairement en allemand de la deuxième. Le set démarre avec la chanson qui ouvre l’album, Possession, troublante avec ses chœurs d’enfants qui déclament que “nous ne sommes personne” et que “nous n’allons nulle part”, ses airs d’église, et qui d’un coup bascule vers ce que sera la prochaine heure et demie, soit une grosse déflagration de basses mises en lumière par des mélodies dark et belles à se damner. Dès lors, on sait aussi que visuellement, on va en prendre plein la vue, avec ce Kompromat en lettre majuscules à l’arrière de la scène, sobre et pourtant si efficace, et surtout ces lumières incroyables qui nous plongent dans des univers tantôt chauds avec le rouge, tantôt froids avec le vert, mais toujours de bon goût et de très belles qualités. Et c’est sans parler de ces lasers qui font barrière à l’avant de la scène, partant de part et d’autre de celle-ci, avec lesquels Julia n’aura de cesse de s’amuser, et nous de nous délecter. Musicalement, il y aura plusieurs temps forts pendant le set, de la violence et la lourdeur de Le goût des cendres où le public perd pied à la délicatesse de De mon âme à ton âme Julia nous fait frissonner avec sa voix pleine d’humanité et d’amour en passant par le remix de La mort sur le dancefloor, premier morceau de Vitalic où les deux avaient collaboré et qui avaient tout renversé sur son passage à l’époque. Et entre tout ça, il n’y a honnêtement rien à redire sur la prestation, faite avec autant de professionnalisme que d’authenticité, où talent et amour se sont parfaitement entremêlé afin de nous donner ce qui aura été incontestablement le meilleur concert de cette édition. Du coup, on espère sincèrement que ce projet ne sera pas qu’un one shot et qu’on aura l’occasion de revoir ça sur scène, encore et encore. En tout cas je serai là pour de nouveau me couvrir le corps de bleus, soyez-en sûrs. De l’amour sur vos têtes Kompromat !

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Trois jours après, c’est à l’évènement le plus atypique du festival que je me rends. En effet, l’Electro Alternativ a tenté cette année l’expérience de l’after, ou du concert au réveil, c’est selon, avec le projet Solarium de Maxime Denuc, en présence de Cindy Castillo, le tout dans L’église de Gésu, un dimanche à 10h du matin. Pas de boom boom cette fois, juste des nappes ambiantes où l’électronique se mélange subtilement mais merveilleusement bien à l’orgue, avec un son projeté des quatre coins de l’édifice, lui-même clairsemé d’une centaine de personnes, assise sur les bancs, en mouvement, ou allongés à même le sol de l’autel. Il règne ici une ambiance plus qu’apaisée malgré le côté pesant que peut avoir une église, et je passe plus d’une heure à me baigner dans ce son réparateur. Je ne pourrais pas vraiment m’attarder sur la composition elle-même, tant elle se vit et m’a transportée, physiquement et émotionnellement, dans des états inconnus jusque là en toute sobriété. J’ai réellement quitté les murs de l’église et je me suis retrouvée dans des bains de lumière où mon corps n’était plus composé de matière concrète… Oui oui, gros gros trip ! En tout cas je ne peux que remercier une fois de plus l’Electro Alternativ d’avoir proposé un projet aussi ambitieux car il a donné une autre couleur à mon dimanche. Et à bien plus que ce jour. Alors oui, définitivement, merci.

Et enfin, dès le lendemain, après 18 jours en mode marathon, il est temps de me diriger vers La Halle de la Machine pour la soirée de clôture pour laquelle l’Electro Alternativ a mis les petits plateaux dans les grands. Le festival a en effet invité pour l’occasion le grand Omar Souleyman, chanteur électro syrien encore jamais venu fouler nos terres roses, et ce dans ce lieu récent plein de magie et de machines où il n’y avait encore jamais eu d’évènements de la sorte. Pour ambiancer tout ça, nous avons eu droit à la prestation de Ioritz, artiste local habitué des célèbres soirées La Berlinoise qui a envoyé une techno bien lourde et dark pendant une heure avant la tête d’affiche, puis Glitter, marocaine vivant à Paris et qui a gardé éveillé jusqu’à 00h ceux qui en demandaient encore. Et si j’ai beaucoup aimé le set du premier, les deux autres m’ont laissé un peu indifférente. Pourtant il y avait pas mal d’ambiance pour Omar Souleyman mais voilà, il est 21h30, c’est lundi, et il n’est donc pas facile de rentrer dans l’ambiance me concernant. La dernière fois que je l’avais vu, c’était au Festival de Dour, en pleine après-midi, dans une atmosphère ultra moite et festive avec distribution de chech, alors forcément, j’en garde un tout autre souvenir. Cette fois, j’ai juste bien rigolé à entendre ces sons dignes de l’eurodance des années 90 (Daddy DJ et Vengaboys, vous étiez un peu parmi nous ce soir-là), j’ai bien noté à quel point il ne servait à rien (en gros il reste statique sur scène, à ne faire rien d’autre que chanter derrière ses lunettes de soleil et parfois lever les bras en l’air en souriant mais c’est à peu près tout). Alors ouais, c’est fun mais bon, ça demande certaines conditions que cette soirée n’a malheureusement pas remplies. Puis il y a eu Glitter, et la moitié de la salle qui s’est faufilée à l’extérieur pour reprendre un peu ses esprits. Heureusement pour elle, une bonne partie est tout de même revenue pour écouter son set, mais personnellement j’ai été un peu déçue donc j’ai quitté les lieux au bout de peu de temps. En effet, je n’ai pas du tout assisté à ce à quoi je m’attendais, soit un bon mix électro/oriental comme on n’a pas l’habitude d’en entendre. Là ça m’a semblé assez basique, et moins efficace que Ioritz, alors je suis sortie. Mais là encore, je crois que je n’étais pas dans l’état d’esprit qu’il fallait pour apprécier complètement cette soirée. Ou alors j’en ai peut-être juste marre de la techno, qui sait. En tout cas elle n’a pas surpassé les autres, loin de là.

C’est donc après sept soirées dans sept lieux différents que ce festival se termine pour moi, et malgré quelques déceptions, je suis plus que ravie de ce que j’ai vécu. J’ai ri, j’ai pleuré, j’ai des hématomes aux bras et aux jambes, je me suis fait mal à la nuque, j’ai perdu pas mal de points de vie faute à un régime bière/frites/Redbull, mais j’en ai aussi pris plein la vue et j’ai fait de très belles découvertes, de lieux, de sons comme de gens. Alors sincèrement, je ne peux que m’incliner face à tout ce boulot effectué par Regarts pour organiser l’Electro Alternativ depuis tant d’années et de toujours rester aussi authentique. On se revoit l’année prochaine sans problème !

Auteure : Hélène

Photos : Antony