La musique, pour moi, et pour d’autres dont vous avez peut-être la chance de faire partie, est une partie intégrale de la vie. Impossible d’imaginer une journée sans musique, qu’elle soit en fond sonore pour accompagner la journée de travail, en écoute attentive coupé du monde, ou à fond sur l’ampli pour la vivre, la danser, la subir parfois. Et la musique n’est jamais aussi sublime qu’en live, dans cette communion solitaire d’où chacun retire ce qu’il veut, où nous sommes seuls dans notre appréciation, mais ensemble dans notre joie d’être là. Hélas, en ces temps de confinement, plus de live. Certains font des concerts de quarantaine, mais ce n’est pas la même chose. Il manque la puissance, il manque les corps, il manque l’interaction. C’est un pâle substitut mais c’est ce qu’il nous reste, on fera avec le temps de retrouver les caves, salles et festivals qui nous font vibrer tout au long de la vie.

En attendant, il faut continuer à vivre, à être curieux, et à écouter de la musique.

Sans plus d’ambages, quelques recommandations de groupes pour la plupart peu connus, quasiment tous autour de la scène fuzz/stoner (au sens large), parus ces 6 derniers mois, avec beaucoup de psychédélisme parce que c’est ce que j’aime. Par souci de patriotisme, je propose 5 albums de groupes internationaux et 5 de groupes français.

N’oubliez pas non plus que beaucoup d’artistes affrontent une perte de revenus parfois substantielle avec ce foutu virus, donc n’hésitez pas à aller acheter leurs albums et leur merch.



Scène internationale 


LowriderRefractions

Lowrider, c’est une légende du stoner européen. 4 jeunes suédois à contrevent, qui, en 2000, soit au tout début de la scène européenne, nous sortaient Ode to Io, et nous montraient qu’ils avaient tout compris au « desert rock » brut tel qu’il nous était parvenu du désert californien avec Kyuss et consorts. L’album devient rapidement une référence parmi les initiés. Et puis plus rien, quelques annonces jamais suivies, quelques rares tournées, on ne pensait plus en entendre parler.

Et surprise, le groupe annonce un nouvel album pour début 2020. L’attente est fébrile… 20 ans après, le groupe sera-t-il encore capable de proposer quelque chose d’intéressant ?

Refractions sort le 21 février 2020 et est, à mon humble avis, un chef d’œuvre du desert rock, un condensé de tout ce qui se fait de mieux dans le genre, 20 ans de progression d’un style musical en un album. Ce tour de force, Lowrider l’accompli en sortant un album qui tout en étant un tout est aussi très varié, avec une progression réelle entre les chansons. Dès les premières notes de la première piste, Red River, on sait que les plus si jeunes suédois ont tout compris : le riff, lourd, gras et saturé comme on les aime, s’impose naturellement, avant que la voix, un peu lointaine, avec juste ce qu’il faut de réverb, ne s’ajoute avec douceur. On enchaîne avec Ode to Ganymede, plus down tempo, qui commence doucement, plus aérienne, on pense qu’on va avoir droit à un répit, erreur, après l’intro le riff reprend ses droits, et toute la chanson est composée autour de cette alternance entre moments de calme et riff lourd. On aura même droit à un orgue tout droit sorti des 70s. C’est ensuite Sernanders Krog, encore une variation sur un thème, un peu plus agressive grâce à une batterie très en avant, tout en restant éthérée, douce, notamment avec une vois traînante, vaguement grunge. Une chanson plus classique, avec un solo très blues qui rappelle les meilleurs moments du rock 70s mais toujours avec cette couche de gras en sus. On revient sur quelque chose de plus énergique avec Ol’ Mule pepe, hommage à un desert rock plus punk, à la Fu Manchu. Avant-dernière chanson de l’album, Sun Devil / M87, est plus lente, plus doom, et aussi seule piste instrumentale de l’album. Les riffs sont torturés, c’est la chanson la plus “sombre » de l’album. Enfin, la dernière piste, la plus logue, et ma préférée, Pipe Rider. On est plus sur du « heavy psych », une chanson longue (onze minutes), en plusieurs mouvements, avec des soli variés, qui tout en gardant ce magnifique son lourd qui caractérise tout l’album est aussi beaucoup plus aérienne.

En 41 minutes, Lowrider résume 20 ans d’un genre qui a bien évolué mais qui peine parfois à se réinventer. On sent que cet album est le résultat de compositions étalées, tout au long de ces 20 ans, 100 fois remises sur l’ouvrage ; et il ne propose d’ailleurs rien de neuf, mais il est tellement bien fait (et produit, le son est parfait tout du long) qu’il en devient un classique instantané, un tableau de ce qu’est le stoner, dans sa monotonie aussi bien que dans sa variété. Un indispensable et, à moins d’une grosse surprise, mon album de 2020, déjà.

Pour écouter : https://lowriderofficial.bandcamp.com/album/refractions


HeliconThis Can Only Lead to Chaos

Helicon est l’un des nombreux groupes de la foisonnante scène rock psychédélique de Glasgow (qui nous a notamment offerte The Cosmic Dead), mais il serait injuste de les traiter comme un groupe parmi d’autres. Leur musique s’oriente du côté d’un psychédélisme assez sombre, lorgnant vers le shoegaze (il paraît que le psygaze est un sous genre, il existe une playlist sur Spotify), et ce 2ème album (sorti chez Fuzz Club Records, gage de qualité) est assurément celui de la maturité pour le groupe. Je ne vais pas me lancer dans une autre critique chanson par chanson mais je vais essayer de résumer le feeling général. Les guitares sont presque toujours noyées dans la saturation noisy ,la (rare) voix perdue dans la réverb, c’est généralement sombre mais pas trop, notamment sur les pistes qui instrumentales qui utilisent le sitar – instrument du psychédélisme par excellence – plus lumineuses que le reste de l’album. C’est parfois enjoué, parfois mélancolique, mais ça touche toujours une fibre sentimentale, à part sur deux titre plus expérimentaux qui apportent une variété bienvenue à l’album.

La production n’est pas en reste, tout est à sa place et le mixage un peu brouillé aide à l’ambiance légèrement malsaine qui se dégage de l’album.

Pour écouter : https://heliconglasgow.bandcamp.com/album/this-can-only-lead-to-chaos-2


Yuri GagarinThe Outskirts of Reality

Yuri Gagarin, c’est avant tout du space rock, genre nommé d’après sa propension à faire voyager les gens dans l’espace, mais avec beaucoup de fuzz, et ils ont donc de nombreux aficionados dans la scène stoner. Je suis tombé amoureux de ces suédois (encore, décidément) avec leur second album, At the Center of All Infinity, et notamment les chansons Cluster of Minds et At The Center of All Infinity, qui sont pour moi des sommets de ce que la fusion space rock / stoner psychédélique peut fournir de mieux. 

Alors expliquons un peu, Yuri Gagarin, c’est entièrement instrumental, guitare / basse / batterie classique, et un olibrius qui se charge de rajouter tout un tas d’effets par dessus, au synthétiseur, au theremin, avec ce qui lui passe sous la main, en fait. Et le nouvel opus est dans la droite lignée de son antécédent, on retrouve les mêmes sonorités, les mêmes arpèges de guitare, le même mixage global, avec peut-être des effets un peu plus mis en avant. Alors on peut regretter une prise de risque minimale, mais quand c’est bon, et que le dernier album est sorti il y a 5 ans, pourquoi se plaindre ? A écouter en regardant des vidéos de la NASA pour une expérience totale, ce n’est pas du space rock pour rien. 

Pour écouter : https://yurigagarinswe.bandcamp.com/


Colour HazeWe Are

Colour Haze, ce sont les papas de la scène stoner / psychédélique européenne. 25 ans que les trois infatigables allemands sortent des albums et tournent, doit ont encore les présenter ? Le terme “heavy psychedelic” a été créé pour décrire leur musique, et ils ont influencé tout un pan de la scène stoner avec des albums comme Colour Haze (écoutez la chanson “Love”, elle résume tout) et All, qui resteront à tout jamais au panthéon à la fois du stoner rock et du rock psychédélique. Colour Haze a créé un son particulier et n’en a jamais vraiment dévié, mêlant les expérimentations psychédéliques des 70s aux instrus basses du desert rock.

Sur leur dernier album, We Are, ils officialisent un 4ème larron qui les accompagne depuis un moment en tournée au clavier, ce qui apporte une dimension supplémentaire à l’album qui reste toutefois reconnaissable dès le premier riff. On notera quelques explorations, comme une chanson presque entièrement acoustique. Colour Haze prouve avec cet album qu’ils ne sont pas figés dans leur progression, qu’ils sont prêts à continuer tout en conservant leur son, pour notre plus grand plaisir.

Ah, je rajouterai aussi que ce groupe est un des meilleurs que j’ai pu voir sur scène. 10 minutes de familiarisation et vous serez plongé dedans. Soudainement la musique s’arrêtera, vous émergerez d’une magnifique rêverie, 1h30 se seront écoulées, vous n’aurez pas vu passer le temps et vous n’aurez qu’une envie : revivre ça le plus tôt possible. 

Pour écouter : https://www.colourhaze.de/haze-en


CaspianOn Circles

On change un peu de genre avec Caspian, c’est du post-rock. Le groupe n’est pas à son galop d’essai puisqu’ils sont actifs depuis 2004, mais ce nouvel album suit le magnifique Dust & Disquiet de 2015, c’est le deuxième depuis la mort de leur bassiste d’origine, et il était donc particulièrement attendu. On retrouve avec plaisir ce qui fait la force des bons groupes de post-rock : une musique souvent mélancolique, qui convoque toute une palette d’émotions qu’on pensait parfois ne plus pouvoir éprouver, mais qui au final nous laisse avec un sentiment de paix, de sérénité. Le son du groupe évolue, c’est moins grandiloquent, plus intimiste, les effets sont plus durs, la musique moins aérienne, et tout cela participe à un sentiment de proximité avec la musique. L’album est presque entièrement instrumental à l’exception d’une piste avec un chanteur en guest (Kyle Durfey de Piano Becomes the Teeth pour les connaisseurs), et le titre de fin, en acoustique. On notera aussi l’inclusion d’un violoncelle sur quelques pistes, notamment sur l’incroyable titre Collapser.

On Circles est donc un album d’une sincérité touchante, plus brut peut-être que les anciens albums du groupe, sans doute plus violent, mais aussi plus intimiste. A écouter absolument par tous les amateurs du genre. 

Pour écouter : https://caspiantheband.bandcamp.com/album/on-circles



Scène Française


Howard Eclipse

Cela fait déjà quelques années que Howard écume la scène parisienne, et ils s’étaient déjà fait remarquer en sortant en 2018 leur premier EP, mais on attendait tous un premier album, et c’est maintenant chose faite ! Howard, c’est un power trio avec une petite particularité, puisqu’en lieu et place de basse, nous avons un organiste (une aberration a priori, mais par je ne sais quel sortilège, ça fonctionne…) . Le groupe est sous influence de la scène rock expérimentale du début des années 70, ajoute à cela une énergie et une lourdeur directement venue du heavy metal, et une bonne dose de groove pour couronner le tout, pour un résultat détonnant et jubilatoire, qui donne envie de bouger, de danser, de se lâcher, même si des moments plus calmes viennent de temps en temps calmer le jeu, mais c’est pour mieux repartir, lâcher les instrus (et particulièrement l’orgue) pour nous remettre dans l’ambiance festive qui caractérise tout l’album.

Ils étaient sensés ouvrir pour les dates françaises de Kadavar avant l’annulation de leur tournée, ça vous donne une idée du niveau…

Pour écouter : https://howardtheband.bandcamp.com/album/obstacle


Wor PigsBeasts

Un autre groupe parisien qui tourne depuis un petit moment, a sorti un EP en 2018 et un premier album en mars 2020, à croire qu’il y a une trend, mais les similarités s’arrêtent là ! En effet, avec Wor Pigs, on passe du côté sombre, on ressort les messes noires et on révère Satan, mais de façon très originale. Tout en restant sur des rythmes très doom (lourd, lent) et dans la droite lignée du Black Sabbath worship (leur nom même – bon sang ne saurait mentir), le groupe se démarque par une ambiance bien à lui, notamment portée par le chant et sa voix si particulière, à la fois rauque et envoûtante, qu’elle soit noyée dans la réverb’ comme tout groupe du genre qui se respecte ou qu’elle scande les paroles comme autant d’incantations. On appréciera aussi le son vintage mixé pas trop bas, ça fait parfois du bien dans la course à celui qui fera un album entièrement en infrasons le premier. 

Je vous encourage par ailleurs à les voir en live, le chanteur est un véritable chaman habité, menant sa messe à grands renforts de gestes rituels étranges, ça vaut le détour !

Pour écouter : https://worpigs.bandcamp.com/album/beasts


Electric Jaguar BabyElectric Jaguar Baby

Electric Jaguar Baby est un power duo guitare / batterie sont le seul et unique objectif est de fuzzer le plus fort possible. Autres vétérans de la scène parisienne, ils sortent leur premier album fin 2019, après une compilation de leurs divers EP sortie en 2018. Pas de finauderies, le groupe va droit à l’essentiel en nous offrant un rock énergique saturé de fuzz, avec quelques guests tout du long de l’album. On ne se prend pas trop au sérieux, le but ici est de faire ce que l’on aime, jouer fort et saturé. L’alchimie dans le duo est évidente tant les deux compères se complètent, aux instrus tant qu’aux voix. Ca gagne en énergie ce que ca perd en profondeur, pour un résultat qui s’appréciera encore mieux en live qu’en album.

Pour écouter : https://electricjaguarbaby.bandcamp.com/album/s-t-debut-album


KarkaraCrystal Gazer

On quitte Paris pour Toulouse où Karkara, groupe créé en 2017, a sorti fin octobre 2019 un album qui s’est directement hissé au panthéon de mon année. Mêlant habilement un rock psychédélique aux rythmiques krautrock avec des influences orientales, cet album est un bijou entre rêveries éveillées, danses sensuelles et rythmes chamaniques qui s’empareront de votre corps et vous feront bouger, avec ou sans votre accord. Impossible de rester de marbre, c’est puissant et hypnotique, ça vous happe et ça ne vous relâche qu’à la fin, demandant plus. Hâte de les voir en live !

Pour écouter : https://karkara.bandcamp.com/


SLIFTUmmon

SLIFT est un autre jeune groupe toulousain très actif, puisqu’ils ont sortis 3 albums en 3 ans, le dernier en date, Ummon, en février 2020. Salué pour ses performances scéniques hors du commun, le groupe sort ici un album aux confins du space rock avec une vibe très progressive (pensez Hawkwind, Gong), utilisant toute la palette d’instruments techniques modernes à leur disposition pour créer une oeuvre à l’ambiance très particulière, alternant entre riffs implacables et moments de pur trip à une vitesse effrénée, risquant d’en perdre quelques uns au passage tant c’est parfois difficile à suivre. Heureusement, ça se calme aussi de temps en temps même si toutes les compos sont complexes : on n’est pas dans la facilité mais le jeu en vaut la chandelle.

Pour écouter : https://slift.bandcamp.com/album/ummon

Auteur : François Momo