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« Le folklore de mon pays
C’est le sang de ma vie
La culture d’hommes forts et fiers
Venu de l’Ancienne France austère
O ancien et honorable folklore québécois… »
(Tiré de l’album La Seigneurie des Loups, Sepulchral Productions 2010)

C’est par les cris lugubres de La Seigneurie des Loups que j’ai découvert Neige et Noirceur la première fois. Bien qu’ancré dans le Metal Noir Québécois en étant sous l’égide de Sepulchral Productions, le groupe s’éloigne un peu des ténors du genre en empruntant le sentier tortueux du Black ambiant. Toutefois, celui qui répondait au nom de Spiritus et chantait la gloire des pionniers québécois a laissé de côté la ceinture fléchée pour le casque à pointe sur ce nouvel opus Les Ténèbres Modernes.

Pour cet album là il se nomme Sion Daus, il est le principal compositeur de la musique de Neige et Noirceur et il a choisi sur cet album d’allier ses forces avec celles de Schimaera pour le chant (les amateurs retrouveront en lui l’homme derrière le projet noise Bête Lumineuse). Rencontre dans l’ombre d’un bar montréalais.

Thorium – Les thèmes abordés par le groupe dans le passé sont ceux chers aux groupes de Metal Noir Québécois comme l’histoire du Québec, l’omniprésence du froid et de la neige. Ce nouvel opus se pose en rupture totale et traite de la première guerre mondiale. Pour quelle raison? Une autre forme de noirceur?

Sion Daus – C’est plus une question de hasard et de littérature, selon mon intérêt et mes lectures du moment. J’ai découvert la première guerre mondiale comme je ne l’avais jamais vue auparavant et je lui trouvais un coté mécanique avec quelque chose qui s’est passé à ce moment là qui n’était jamais arrivé dans l’humanité. Certains historiens disent que l’ère moderne n’est pas arrivée en 1900 mais en 1914 avec la première guerre mondiale. Tout le coté machinerie et industriel que l’on vit présentement est arrivé à ce moment là. C’est ce coté gris, électrique et mécanique qui a hanté mes pensées. En composant la musique en réalité je n’avais pas ce but là, j’avais beaucoup de matériel d’écrit mais tout s’est enchainé et a fait que les pièces qui sont apparues dans mes mains étaient propices à pousser ce sujet là.

T – Pour la recherche de la thématique est ce toi qui a tout géré ou bien était ce le fruit d’une réflexion mutuelle avec Schimaera ?

SD – La thématique c’est moi qui l’aie développée. Schimaera est venu m’aider lors de l’enregistrement et surtout m’a apporté des sons incroyables de coups, comme des coups de canon, des effets de réverbération… il est venu chez moi et on faisait des « séances de bruit » avec des explorations sonores qui étaient complètement appropriées à la musique, au black metal que je faisais. J’aime à dire qu’on a est allé chercher des sonorité que l’on pourrait rapprocher à du Slayer enregistré en 1920 : la voix n’a pas de reverb, la guitare non plus mais la batterie reste très mécanique. Tout ça avec du keyboard, j’ai toujours eu le même vieux keyboard depuis mes débuts (un Roland Juno 1983, pour les amateurs éclairés – ndlr). Toute l’essence de Neige et Noirceur est contenue dans ce clavier là ! Tout l’aspect drone et noise c’est Schimaera qui l’apporte en plus des vocaux. Moi j’ai de la difficulté à être constant et je trouve que c’est du travail. J’ai plaisir à le faire mais je n’arrive pas à être rigoureux envers moi-même et Schimaera arrivait avec une vision complètement extérieure, concise et définie. Ça donne un résultat parfait ! Tous les prochains albums seront fait avec sa voix d’ailleurs.

T – Votre futur à tous les deux est donc bien défini mais qu’en est il de votre passé ? y avait il eu d’autres collaborations ?

Schimaera – J’avais déjà fait une session pour Crépuscule hivernal sans fin sur les terres de la guerre, une pièce épique de 20min. Après ça il y a une scission mais je lui envoyais régulièrement des sons que je créais, des ajouts électroniques pour faire des textures. Tout ça sans compter nos plus récentes explorations sonores.

SD – Il y a quelques années on a sorti un split avec son autre projet Bête Lumineuse.

S – Oui un rapprochement Bete Lumineuse et Neige et Noirceur qui était sorti sur les Productions Hérétiques (le label de Monarque à Québec – ndlr), limité à 50 copies, probablement notre sortie la plus rare [rires]. D’ailleurs sur ce projet j’avais enregistré quelque chose d’assez typique de Bête Lumineuse mais Sion Daus avait vraiment créé une fracture avec la musique de Neige et Noirceur : des percussions, des ambiances de clavier… Un son que je pourrais qualifier de barbare d’une certaine façon, dans le sens primitif. Cette sortie a été vraiment le début d’une collaboration plus étroite.

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T –Neige et Noirceur a habitué ses auditeurs à une musique ambiante où l’atmosphère était essentielle avec des morceaux assez longs. Sur ce nouvel opus en revanche on ne dépasse pas les 6min, un nouveau moyen d’expression?

SD – C’est vraiment un choix délibéré ! Pour cet album les pièces étaient très bonnes courtes. Avec le temps j’écoute beaucoup de rock et d’autres musiques et j’ai remarqué que les albums longs en rock étaient souvent ennuyants : trop de morceaux, trop de B-side sans intérêt. Je trouvais ça intéressant pour une fois de faire un album court, qui va droit au but et qui arrête avant de s’éterniser. Pour le concept de la première guerre mondiale je trouvais que c’était l’idéal.

T – Le son semble beaucoup plus cru et froid sur ce nouvel opus, peux tu en dire plus sur l’enregistrement?

SD – C’est en ligne droite avec la thématique. J’ai voulu qu’il y ait peu d’effets comme il n’y en aurait pas eu si ça avait été enregistré à cette époque là. Les voix restent froides, très près de l’auditeur, tout comme les guitares. C’était vraiment le but recherché.

T – Le parcours de Neige et Noirceur passe par de nombreux chemins: des débuts très ambiants au Black Metal sombre des Hymnes de la Montagne Noire pour finir avec les touches noise de ce dernier opus. Qu’est ce qui se cache derrière ce florilège de genres?

SD – Ce n’est pas dans ma nature de faire des choses génériques, même si je le voulais je pense que je n’en serais pas capable. C’est un one-man band donc tout vient avec les influences du moment et j’ai toujours de nouvelles idées. Certaines personnes aurait peut être même changé de projet, de nom de groupe pour chaque album mais moi c’est le contraire je préfère avoir le même nom pour tous mes projets parce que c’est moi-même finalement.

T – Justement je suis surpris que tu parles de garder le même nom. Quand je regarde les crédits dans la discographie de Neige et Noirceur je vois Zifond, Spiritus, Sion Daus, alors schizophrénie ou bien recherché par la NSA?  

SD – Le nom du personnage ce n’est pas important, c’est le nom du groupe que tout le monde voit.

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T – J’aimerais revenir sur la pochette de l’album. La symbolique est très forte. Pourrais tu nous en dire plus?

SD – Les deux mediums en avant symbolisent le spiritisme très fort juste avant la première guerre mondiale, un culte des ténèbres à un certain point que des familles entières, des gens normaux en appelaient aux esprits d’une manière insensée. Juste derrière eux on retrouve le robot dans Metropolis (film culte de Fritz Lang sorti en 1926 – ndlr) qui corrompt les gens. Le fond ce sont les canons et l’armée française bénie par le prêtre avant de s’en aller droit à la mort par milliers d’où la bouche de l’enfer, aussi tirée du film Metropolis. Le collage décrivait bien mon propos, plus qu’une peinture que j’aurais pu faire avec de la neige et des arbres…

T – Finalement on parle de première guerre mondiale en restant dans les thèmes chers à N&N : le spirituel et les symboles ?

SD – Totalement !

T – Schimaera tu es connu sur la scène également pour tes illustrations d’album, as tu été impliqué pour celle ci ?

S – Pas celle ci non, Sion Daus a tout réalisé lui même. Pour Neige et Noirceur j’ai réalisé le fourreau de Gouffres Oniriques et le split avec Monarque par exemple. Je suis souvent occupé et n’ai pas toujours l’occasion même si ce serait avec plaisir (Schimaera a réalisé notamment les artwork de Portal, Phobocosm, Gevurah pour ne citer qu’eux – ndlr).

T – Pour clore l’entrevue, un dernier mot ?

SD – J’espère que le disque sera apprécié, je pense que la ligne directrice est définie sans ambiguïté. Je sors un peu des sentiers battus en faisant cet album et j’espère qu’il va marcher notamment outre mer. Au Québec, le groupe est lié à la scène Metal Noir et je pense que l’album va continuer de toucher cette scène en particulier. Pour le futur, j’ai déjà un album de prêt qui était même supposé sortir avant celui là, quelque chose de très différent. Et avis aux intéressés, j’aimerais sortir un split vinyle avec quelques morceaux de la session des Ténèbres Modernes !

Les Ténèbres Modernes sortiront le 23 juin, veille de la fête nationale du Québec bien sûr, via Sepulchral Productions. Pour suivre Neige et Noirceur c’est par ici.

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Texte & photographie : Thomas Mazerolles