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A un mois de la cinquième édition de la Messe des Morts, nous avons eu la chance de rencontrer l’âme pensante de Sepulchral Productions, Martin Marcotte, instigateur de ce festival sans équivalent en Amérique du Nord. Il n’y avait pas de meilleur contact pour prendre la température du festival qui s’en vient et discuter un peu de la scène Black Metal au Québec et en général.

Thorium – Salut Martin! Pour commencer cette entrevue pourrais tu te présenter brièvement, décrire un peu ton activité et surtout donner la ligne directrice de Sepulchral Production pour ceux d’entre nous qui ne seraient pas encore familiers avec l’activité du label?

Martin Marcotte – Salutations, j’ai lancé officiellement lancé Sepulchral Productions en 1999, afin de produire et d’assurer la distribution du premier album de mon groupe Frozen Shadows. Si je dis officiellement, c’est que la structure existait déjà depuis près de trois ans en fait, étant donné que je m’étais aussi occupé de la distribution de notre premier démo Empires de Glace, sorti en 1996. Grâce aux échanges faits en rapport avec ce démo, j’avais déjà un catalogue de distribution, qui était à ce moment destiné à un cercle fermé composé de proches. Donc, quand nous avons décidé d’enregistrer notre premier album, j’ai décidé tout naturellement d’en assurer également la diffusion, mais cette fois à plus grande échelle, d’où la naissance officielle de l’étiquette.

Sepulchral Productions est axée sur le Black Metal comme ceux qui nous suivent le savent, bien qu’il ne soit pas impossible de proposer des sorties d’un autre genre mais dont l’esprit nous rejoint, je pense à Beast Within, dont nous avons sorti le premier 7 pouces, par exemple. Pour que nous travaillions avec un groupe, il faut à prime abord qu’il me plaise, c’est un facteur beaucoup plus important pour moi que de savoir combien de copies de leur album nous allons pouvoir vendre…

T – Quand tu parles de “nous”, de quel type de structure est ce qu’on parle? Combien de personnes travaillent au sein de Sepulchral ? Gérer à la fois production et distribution ça représente sûrement beaucoup de travail!

MM – En fait, je suis la seule personne qui travaille à temps plein sur Sepulchral Productions. J’ai engagé une personne qui s’occupe exclusivement de l’aspect promotionnel du label (qui peut être assez prenant avec tout le reste), tandis que moi je me concentre sur l’orientation générale, des signatures et de la production. J’ai deux personnes qui peuvent également, au besoin me dépanner lorsque l’aspect distribution devient un peu trop chargé pour une personne (lors de nouvelles sorties par exemple, alors qu’il faut envoyer les précommandes).

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T – Parlons un peu d’actualité maintenant: la nouvelle édition de la Messe des Morts! Avant d’arriver à l’excellente programmation de ce nouveau rituel, je me demandais comment était né le festival? Y avait il une idée, une volonté particulière à l’origine ?

MM – Ça devait faire un an déjà que je songeais à me lancer dans l’organisation d’un festival lorsque nous avons annoncé la première Messe des Morts. Je savais déjà d’ailleurs que j’appellerais le festival de cette manière, tout ce qui manquait, c’était que je me décide à plonger.

C’est en fait alors que j’étais avec Monarque au Under the Black Sun (festival Black Metal en périphérie de Berlin, en Allemagne – ndlr) en juillet 2011, dans le cadre d’une petite tournée européenne que j’avais organisée pour le groupe, que je me suis décidé à faire le saut. J’assistais pour la première fois à un festival Black d’envergure, l’atmosphère était parfaite, et je me suis dit que c’était quelque-chose que je voulais faire vivre aux gens d’ici. Aussitôt revenu, j’ai contacté Inquisition, que j’avais déjà fait jouer à Montréal, et Absu, dont le bassiste et moi étions en contact depuis quelques temps, et le projet était lancé!

T – Venons-en au cinquième rituel qui s’annonce! Très belle affiche qui selon moi revient plus dans l’esprit des débuts avec des têtes d’affiches délivrant un Black plus primitif et une dimension mélancolique et suicidaire très marquée. Pour parler un peu des groupes, quels sont tes coups de cœur sur cette édition? Les groupes dont tu es très fier d’avoir le nom sur l’affiche? Le show que tu attends avec le plus d’impatience ?

MM – En fait, je ne crois pas que le festival ait beaucoup mis l’accent sur les groupes plus « suicidaires », nous n’en avons pas vraiment eu avant la quatrième édition, et même là il n’y en avait que deux sur le lot, dont un (Shining) que je qualifierais plus de malsain, et nous en aurons quelques-uns aussi cette année. Messe des Morts se veut à la base surtout axé sur le Black « old-school », même si nous ajoutons aussi quelques groupes sortant un peu du lot pour varier un peu. Pour cette année, je suis particulièrement fier des deux têtes d’affiche, Lifelover et Satanic Warmaster, qui sont, somme toute très différentes! Satanic Warmaster est un groupe que nous nous sommes très souvent fait demander pour le festival, et un que j’apprécie énormément aussi. Ça devrait être tout un spectacle!

Lifelover, ça a réellement été la grosse surprise du festival, c’est le genre d’annonce que tu as hâte de faire pour voir comment les gens vont réagir! Peu de gens le savaient, mais ça faisait longtemps que j’étais en discussions avec Kim pour faire venir Lifelover ici. Nous en avions parlé une première fois en 2010, lorsque je préparais la première tournée d’Alcest en Amérique du Nord (ça aurait été les deux groupes ensemble), mais le projet était finalement tombé à l’eau. Nous avons repris les discussions en 2011, et le projet semblait vouloir arriver à terme, puis, malheureusement, B/Jonas est mort subitement, alors bien entendu tout s’est arrêté pour le groupe à ce moment. J’ai ensuite recroisé Kim à un spectacle de Hypothermia avec Sombres Forêts en Allemagne en 2013, et à ce moment, il m’a dit que le reste du groupe songeait à boucler la boucle en donnant quelques derniers spectacles en 2015, afin de célébrer les dix ans de la formation du groupe. Je lui ai bien entendu parlé du festival, nous avons convenu de nous en reparler, et le reste, vous pourrez le voir le 27 novembre!

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Avec Winterhalter (batterie – Alcest, ex-Peste Noire)

T – Très belle tête d’affiche, c’est certain. Mais le reste devrait présenter des surprises de qualité avec comme d’habitude de nombreux groupes locaux.

Sepulchral s’est fait connaitre avant tout par tous les classiques québécois, j’imagine que faire la promotion de la scène locale est essentiel pour toi sur ce genre de festival? Quels sont tes coups de coeur québécois de cette édition?

MM – Oui, bien sûr, la Messe des Morts ne serait pas ce qu’elle est si elle ne permettait pas à quelques groupes d’ici de se faire voir chaque année! Bien entendu, avoir Akitsa sur l’affiche est un gros coup, vu que le groupe s’est fait rare ici depuis la tournée avec Peste Noire en 2008!

Sinon, le fait de voir enfin Brume d’Automne sur les planches après toutes ces années sera certainement aussi un des faits marquants de la portion québécoise du festival. Le retour sur scène de Neige Éternelle aussi, sans aucun doute. Bref, autant pour les groupes internationaux que ceux d’ici, je crois que cette édition du festival aura beaucoup de “profondeur”…

T – Dernier point sur l’affiche, si le Québec est mis en avant avec raison, la Messe des Morts n’oublie jamais ses cousins français avec toujours au moins un groupe français par édition (tu as même tenu à le préciser lors de l’annonce de Blacklodge!). Pour nos lecteurs sur place, y a t il quelque chose dans le black français pour toi qui fait qu’il mérite son passage à la Messe des Morts? Amour de la touche française ou hasard d’organisation?

MM – Un peu des deux je dirais! Lors de la première édition, nous avons pensé à Glorior Belli, dont le projet de venir en tournée nord-américaine pour une première fois avait avorté peu avant, le “timing” pour nous était idéal. En préparant la deuxième édition, j’ai appris que Seth s’était reformé, et comme le premier album du groupe restera toujours un incontournable en matière de Black en français, je les ai contactés pour en faire partie. C’est plus en préparant la troisième édition que je me suis dit qu’il y aurait peut-être là une tradition qui était en train de se créer. Il faut dire qu’ici, le Black français, ça touche les gens d’assez près vu la relation de cousins, comme tu dis justement, entre le Québec et la France.

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Messe des Morts III – Taake

T – La Messe des Morts présente déjà sa cinquième édition et elle a vu passer des légendes du black plus ou moins underground. Quel(s) groupe(s) rêverais tu de faire passer au festival?

MM – En fait, comme la plupart des groupes de Black plus “gros” passent plus ou moins régulièrement en tournée, faire jouer un de ces noms sur le festival ne serait pas si intéressant pour moi, et je préfère donner la chance à des groupes qu’on voit rarement par ici. Ceci dit, Emperor pour In the Nightside Eclipse (leur cultissime album de 1994 chez Candelight Records – ndlr), comme ils ont fait pour quelques festivals en Europe, ça aurait vraiment été quelque-chose de spécial! Mais malheureusement, ils n’avaient pas prévu venir en Amérique du Nord…

T – En restant dans le domaine du live, de nombreux fans ont insisté pour que je te demande des nouvelles des classiques de Sepulchral. À quand un retour en live de Forteresse, Monarque et autres Gris? Quelques chanceux dont je ne faisais malheureusement pas parti ont pu profiter de Forteresse et Sombres Forêts pour la soirée des 15 ans de Sepulchral mais qu’en est-il depuis?

MM – Gris n’a jamais joué live, et ça n’est pas dans les plans non plus. Ça serait très compliqué de reproduire leur musique en spectacle, il faudrait presque disposer d’un petit orchestre, ce qui serait très complexe pour les répétitions, bref, pas vraiment réalisable comme projet.

Monarque a cessé de jouer live depuis quelques temps malheureusement, donc pour le moment, rien à annoncer de ce côté. Un peu la même chose pour Sombres Forêts, qui est “sur la glace” pour le moment.

Pour ce qui est de Forteresse, le groupe est en train de préparer son prochain album, donc, dans leur cas, on le reverra très certainement sur les planches, juste pas tout de suite!

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Messe des Morts IV – Samael

T – Assez parlé de concert, j’aimerais parler de Sepulchral en tant que label de Black Metal maintenant. A un moment où le business de la musique devient de plus en plus difficile pour les plus petits et underground, comment gère-t-on un label axé uniquement sur un genre qui concerne peu de public et qui a l’image du Black Metal ? Comment rend on viable ce genre d’entreprise?

MM – Avoir un label axé sur le Black Metal, c’est avant tout une question de passion je dirais, parce qu’effectivement, ça n’est certainement pas le “modèle d’affaires” le plus rentable! Sepulchral Productions est viable financièrement, donc le label rapporte un peu d’argent, mais ça n’est certainement pas ça qui pourrait assurer ma survie! Déjà, le fait que les activités de l’étiquette se financent toutes seules, c’est une réussite pour moi, et ça me convient très bien comme ça.

Je crois que, pour rendre viable un label underground, le fait de demeurer fidèle à ce que l’on aime musicalement tout en insistant sur la qualité est primordial. Il est important aussi d’être conscient de ses moyens quand vient le temps d’assurer une visibilité à ses groupes, savoir ce qui vaut les dépenses et ne le vaut pas, avec un budget plus limité que celui des étiquettes plus grosses, c’est très important. Le professionnalisme est aussi très important, ça n’est pas parce qu’un label est plus “underground” qu’il doit nécessairement tout faire de façon bâclée!

T – Si la gestion est un paramètre essentiel, qu’en est il de la communication ? Le succès d’un label repose bien entendu sur son public mais comment va t on capter son auditoire quand on parle de Black Metal ? Comment peut on trouver un nouveau public dans un genre qui pourrait sembler assez clos vu de l’extérieur ? Y a-t-il une stratégie particulière autant sur la scène locale (qui j’imagine représente le plus gros support de Sepulchral) et l’international ?

MM – Effectivement, le Black, ça n’est clairement pas pour tout le monde, et personnellement, ça me va comme ça. Je suis de la vieille école, donc je n’aimerais pas que tout le monde commence à être fan de Black, il y a déjà trop d’indésirables d’ailleurs. Donc, l’essentiel est de rejoindre les gens qui s’intéressent réellement au genre. Pour ça, bien entendu, il y a la pub dans certains fanzines et magazines, et aussi une présence active sur le Web. Malgré ses défauts, il faut admettre qu’Internet peut être un excellent outil de promotion, notre page Facebook, par exemple, donne toujours d’excellents résultats lorsque vient le temps d’annoncer des nouvelles sorties ou des spectacles!

Sinon, au niveau local, le fait d’organiser des spectacles de Black aide bien entendu à cultiver la scène, en plus de donner plus de visibilité aux quelques groupes de l’étiquette qui se produisent sur les planches. Ceci dit, au total, nous faisons le plus gros de nos ventes par catalogue hors du Québec, en particulier en France, en Allemagne et aux États-Unis. Question de démographie bien entendu, même si la scène Black est bien solide au Québec, point de vue population, il y a beaucoup moins de gens que dans ces autres pays. En proportion, le Québec est effectivement probablement l’endroit où le ratio de ventes est le plus élevé, mais en nombre absolu, c’est différent.

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Messe des Morts III – Tsjuder

T – La plupart des groupes étiquetés Sepulchral ont fait le choix de s’exprimer en français et de s’en tenir même strictement à la langue de Molière. Pourtant ça ne semble pas être un frein à leur exportation en dehors de la francophonie. Comment explique tu le succès du Metal Noir Québécois à l’heure où l’anglais semble indétrônable ?

MM – Effectivement, les groupes de Black d’ici ont une belle visibilité hors du Québec, même si, comme tu dis, bon nombre d’entre eux chantent exclusivement en français. Je crois que ça peut effectivement s’expliquer en partie par l’essence même du style. N’oublions pas que beaucoup de norvégiens se sont exprimés dans leur langue lors de l’explosion de cette scène, donc les fans du genre sont probablement plus réceptifs en partant à d’autres langues que l’anglais. Ici, avec le côté nationaliste en plus, c’est pratiquement devenu une caractéristique du genre, donc, forcément, les gens à qui les groupes québécois plaisent acceptent facilement l’emploi du français.

Même par rapport aux activités de Sepulchral Productions, je remarque à quel point les gens de l’extérieur se forcent souvent pour me glisser 3-4 mots de français lorsqu’ils passent des commandes ou nous contactent pour diverses raisons. Ça m’est même déjà arrivé de voir des américains ou des gens du Canada anglais s’excuser en me parlant à des spectacles parce qu’ils ne savaient pas parler français, ce qui semblerait complètement irréel à un québécois typique qui se ferait aborder par des anglophones dans un contexte plus normal!

T – Pour terminer cette entrevue, parles nous un peu du futur proche ou lointain du label. En dehors de la Messe des Morts, y a t il des sorties ou des projets de prévus?

Pour les mois à venir, les activités de Sepulchral Productions seront surtout axées sur le vinyle, nous allons en effet sortir quelques-uns des albums lancés sur l’étiquette en LP. Il y a également Forteresse qui prépare son prochain album, qui devrait sortir quelque-part en 2016. Pas mal de spectacles aussi en préparation pour la première moitié de 2016, entre autres, Angantyr, le 24 mars, que nous venons tout juste d’annoncer!

Pour relire notre présentation du festival c’est par ici et pour retrouver toutes les informations sur la Messe des Morts c’est par  !

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Messe des Morts IV – Angantyr

Auteur & Photographe : Thomas Mazerolles