aislesIl y a des jours comme ça, où on est heureux de se lever. Le réveil sonne, on enfile ses pantoufles et pendant qu’on fait couler le café, on trie le courrier. Tiens ? Un paquet en provenance de Santiago du Chili ?! Ah ! Le 3ème album d’un groupe local de Rock Progressif. Aisles. Le Prog, pour les intimes, est un genre particulier. Riche, complexe et pas vraiment facile à définir. Le non initié a tôt fait de le rejeter et de le qualifier de: «branlette intellectuelle». Il n’a pas forcément tort puisque les musiciens s’amusent à déconstruire et à redéfinir les fondements même de la musique. Mais il est fort dommage de passer outre ce genre parce que c’est «trop compliqué pour moi».

Cette intro est un peu particulière j’en conviens, mais il faut bien situer les choses: rien n’est jamais inaccessible, et cet album 4:45 AM en est un très bon exemple. Situons nous, cet opus marque une transition pour le groupe. Mis à part le changement de line-up, le succès local et un début de reconnaissance dans nos contrées (ils ont participé en 2009 au Festival de Rock Prog, Crescendo et ont été plutôt bien accueillis), donc une volonté de s’exporter à l’international s’est faite désirer. Exporter en dehors des frontières une culture et une manière de faire dans style assez cryptique pour la majorité. Casse gueule mais enivrant, non ?

Point de suspense, le pari est réussi. Lors de la première écoute on se dit que les sonorités sont « ringardes », voire qu’elles ont 30 ans de retard. Cependant, on se rend vite compte que ce n’est pas aussi anodin que cela. La première partie de l’album retrace chronologiquement et subtilement l’histoire du genre car on progresse tout en finesse à partir de titres «old school» à la manière de Genesis, de Yes ou même de Toto (4 :45 AM, Gallarda Yarura et Shallow and Daft) vers le Rock Progressif plus moderne.

On se prend littéralement une claque avec le 4ème morceau, Back My strength, qui singe à merveille le timbre et la composition de Steven Wilson (Porcupine Tree, Blackfield), alors que nous sommes encore en train de sourire niaisement sur la fin un poil « too much » du 3ème (oui, une fin  radiophonique en différentes langues: de l’anglais au japonais, en passant par le «cappuccino» italien).

Après avoir présenté ses influences, Aisles montre enfin ce dont il est capable. The Sacrifice est une belle démonstration à la fois de finesse et de puissance. Un résumé de son panel en somme: un riff de guitare sèche, saupoudré de cordes crissées dont suit une montée en crescendo des autres membres jusqu’à l’explosion orgasmique finale (étrangement le titre suivant est un interlude de bruits aquatiques…). Un morceau très accessible qui fait comprendre que la musique doit se ressentir avant toute chose, d’autant plus lorsqu’elle est considérée comme « intellectuelle ». Un conseil donc, qui laisse présager la suite car les gars ne nous laissent pas partir comme ça. Les choses sérieuses commencent avec l’instrumentale dérangeante d’Intermission, puis un peu de répit nous est offert avec le morceau suivant, The Sorrow, qui associe douceur et chaleur latine. Une musique froide et impersonnelle ?

Nous sommes donc maintenant dans les conditions optimales pour appréhender la dernière partie de l’album avec deux compositions à tiroir 100 % Rock Progressif et totalement débridées. Hero et Melancholia. Tout a été fait pour amener l’oreille sur ces deux-là: «voilà les gens, le Prog c’est ça ! Voyez, ce n’est pas si terrible que ça ?». Dommage qu’il n’y en ait que deux.

4:45 AM est donc un album qui se veut éclectique sur bien des points. La volonté d’Aisles de s’exporter à l’international, nous a offert cette galette pleine de bon sens et de finesse. Tout en sachant garder son identité, on progresse dans l’histoire du genre et s’achemine petit à petit vers le Prog pur et dur. Il y a donc ici une notion d’accessibilité pour amener l’oreille non initiée, comme experte, à la découverte du groupe d’une part, mais également d’un genre trop méprisé pour sa soi-disant complexité. L’ensemble est renforcé par le large brassage d’influences aussi bien culturelles que musicales (je n’ai pu tout citer) amené de manière cohérente et judicieuse. Un album à découvrir absolument.

Pour cette année 2016, Aisles prépare une tournée européenne, dont deux dates en France courant avril, qui restent cependant à confirmer. Nul doute que l’on vous tiendra au courant le moment venu.

Note : 7,5/10 – Un album «cas d’école» pour découvrir tout en finesse le monde merveilleux du Rock Progressif.

Auteur : Pierre Falba

Crédit photo : Aisles